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Je passe désormais à la gendarmerie tous les <strong>je</strong>udis <strong>soir</strong>. Je n’attends plus grandchose<br />
de mes visites hebdomadaires, car j’ai compris qu’ils n’ont toujours rien,<br />
qu’ils ne retrouveront pas l’<strong>assassin</strong> de mon fils. Trop de temps est passé à présent.<br />
Mais <strong>je</strong> viens quand même, car <strong>je</strong> veux surtout qu’ils n’oublient pas leur promesse<br />
de ne jamais lâcher. Alors, ce <strong>soir</strong> encore, <strong>je</strong> fais semblant de les croire quand ils me<br />
disent : « Nous avançons. » Je ne parviens pas à dissimuler mon angoisse et mon<br />
regard est si perdu qu’ils se sentent obligés d’ajouter :<br />
– Il ne faut surtout pas perdre espoir. C’est important, monsieur Rodriguez.<br />
Le commandant de gendarmerie, Antoine Peyrot, est d’une gentillesse<br />
désarmante. Il est grand, blond, presque imberbe, et paraît tout <strong>je</strong>une, alors qu’il<br />
pourrait être mon père. C’est lui qui dirige la section de recherches. Il me reçoit<br />
toujours en personne et me répète que l’enquête ne sera close que le jour où ils<br />
auront mis la main sur le « fuyard », comme ils appellent l’<strong>assassin</strong> de mon fils.<br />
– C’est bizarre, s’est étonnée un jour Sylvia, les gendarmes parlent toujours d’un<br />
fuyard, et jamais d’une femme. C’était peut-être une femme qui conduisait ?<br />
Mais le commandant a été formel :<br />
– C’est masculin. Aucun doute là-dessus.<br />
Il n’en a pas fallu davantage pour que nous soyons persuadés que l’<strong>assassin</strong> de<br />
Victor est un homme. En toute franchise, nous préférons concentrer notre haine sur<br />
un homme plutôt que sur une femme.<br />
Combien de fois m’a-t-il répété « Nous avançons » ? Désormais <strong>je</strong> n’en crois plus<br />
un mot, mais <strong>je</strong> fais semblant parce que <strong>je</strong> ne supporte pas qu’un salaud continue de<br />
vivre normalement quelque part. Car il est bien quelque part, celui qui a tué mon<br />
fils. Mais ils ne disposent d’aucun témoignage. Toutes les lettres anonymes et les<br />
dénonciations ont été vérifiées. Ils n’ont à leur disposition que les traces vertes<br />
relevées sur le vélo. « C’est une Renault, m’a-t-il concédé un jour. <strong>Ce</strong>la représente<br />
plusieurs milliers de véhicules à contrôler, mais nous avançons, monsieur<br />
Rodriguez. » Un autre jour, il m’a dit que « ce serait trop injuste autrement ».<br />
Son second, le lieutenant Paul Favier, est en revanche plus revêche, plus direct,<br />
moins sympathique. Il est le premier que j’aie aperçu le <strong>soir</strong> de l’<strong>assassin</strong>at de mon<br />
fils, celui qui a dit : « Il est mort. » Je l’ai su dès que j’ai aperçu le corps<br />
recroquevillé de Victor dans le champ de maïs, avec tout ce sang sur le visage. Mais<br />
c’est tellement dur d’entendre : « Il est mort. »<br />
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