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CONFÉRENCE<br />
<strong>de</strong>s êtres humains a été traduit par Thomas d’Aquin par motivum secundum<br />
locum, et chez Argyropoulos par loco motivum (et <strong>ce</strong>tte expression<br />
est l’ancêtre <strong>de</strong> la locomotive). La continuité <strong>en</strong>tre notre héritage culturel<br />
et la Grè<strong>ce</strong> anci<strong>en</strong>ne est r<strong>en</strong>due manifeste par le fait que nos plus<br />
mo<strong>de</strong>rnes inv<strong>en</strong>tions techniques tir<strong>en</strong>t leurs noms <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée philosophique<br />
antique. — Il est intéressant <strong>de</strong> noter que le même Argyropoulos<br />
qui répète le neutre scolastique motivum n’a pas osé créer un<br />
neutre ambi<strong>en</strong>s : on ne peut qu’inférer qu’il ne l’a pas trouvé chez les<br />
Scolastiques qui, eux, n’aurai<strong>en</strong>t probablem<strong>en</strong>t pas hésité <strong>de</strong>vant la formation<br />
d’un g<strong>en</strong>re aussi ambigu que l’est ambi<strong>en</strong>s : <strong>ce</strong> sont eux qui<br />
inv<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t les substantifs ingredi<strong>en</strong>s, ag<strong>en</strong>s, differ<strong>en</strong>s, expedi<strong>en</strong>s, etc.,<br />
[lacune] … est peut-être simplem<strong>en</strong>t dû au fait que la voie n’était pas<br />
<strong>en</strong>core frayée, à cause <strong>de</strong> l’ac<strong>ce</strong>ption commune que le verbe ambire a<br />
dans la référ<strong>en</strong><strong>ce</strong> <strong>en</strong> question. — Chez les Romains <strong>ce</strong>p<strong>en</strong>dant, le participe<br />
prés<strong>en</strong>t substantivé était très rare. Les ex<strong>ce</strong>ptions se trouv<strong>en</strong>t pour<br />
la plupart dans le langage philosophique (cf. consequ<strong>en</strong>s chez Cicéron) ;<br />
un peu plus fréqu<strong>en</strong>te, la forme plurielle est apparue (cf. le nas<strong>ce</strong>ntia <strong>de</strong><br />
Paulin <strong>de</strong> Nole, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u naissan<strong>ce</strong> <strong>en</strong> français : v. Stolz-Schmalz, Lateinische<br />
Grammatik 5 , § 66a). La relative abs<strong>en</strong><strong>ce</strong> <strong>de</strong> participe prés<strong>en</strong>t<br />
neutre fait partie d’un phénomène latin plus large : l’abs<strong>en</strong><strong>ce</strong> du neutre<br />
abstrait <strong>en</strong> général. Selon Deutschbein (« Der Sinn <strong>de</strong>s germanisch<strong>en</strong><br />
Neutrums » [Euphorion, XXXVIII, 1937, p. 401]) et selon Stegmann von<br />
Pritzwald (Wörter und Sach<strong>en</strong>, 1938-39, p. 234) l’adjectif neutre abstrait<br />
qu’on trouve par exemple dans das Göttliche ou dans …ª ¢|±∑μ, n’est<br />
connu que du grec ou <strong>de</strong>s langues germaniques (même si l’on peut<br />
m<strong>en</strong>tionner <strong>de</strong>s emplois <strong>en</strong> latin aussi occasionnels que honestum,<br />
bonum — sans conteste <strong>de</strong>s imitations du grec). Car dans l’emploi<br />
neutre du participe passé latin il n’y a aucune abstraction : per neglecta<br />
= « aux <strong>en</strong>droits laissés sans surveillan<strong>ce</strong> » ; in occultis templi = « dans les<br />
parties secrètes du temple », etc. Un tel emploi représ<strong>en</strong>te plutôt une<br />
« Verdinglichung » (qui plus est, une « Verdinglichung » qui traverse la<br />
langue : remarquer que c’est « res divinae » qui est l’équival<strong>en</strong>t <strong>de</strong> « das<br />
Göttliche »). Cep<strong>en</strong>dant, je ne peux suivre les auteurs dans leur conviction<br />
selon laquelle le neutre <strong>en</strong> grec (et <strong>en</strong> allemand) illustre, comme ils<br />
dis<strong>en</strong>t, « die transz<strong>en</strong><strong>de</strong>ntale Realität, das überindividuelle Urbild, <strong>de</strong>n<br />
Archetyp <strong>de</strong>r Dinge und Erscheinung<strong>en</strong> », telle qu’elle est incarnée<br />
dans la philosophie platonici<strong>en</strong>ne et alleman<strong>de</strong>. Cela revi<strong>en</strong>t à particulièrem<strong>en</strong>t<br />
surestimer l’influ<strong>en</strong><strong>ce</strong> du langage sur la philosophie ! En réalité,<br />
Spinoza écrivant <strong>en</strong> un latin où manquait la souplesse <strong>de</strong> l’infinitif<br />
neutre grec a simplem<strong>en</strong>t eu recours au procédé <strong>de</strong> « l’emprunt » <strong>de</strong><br />
l’article « philosophique » …∫, l’incluant à son latin (<strong>de</strong> petits îlots <strong>de</strong>