Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
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« Ben merde, alors, dit Deke, mais c’est du vrai fromage… »<br />
Il était assis sur un canapé à lanières, coincé entre un ours en<br />
peluche d’un mètre vingt et une pile éparse de disquettes. Sur<br />
tout le sol de la chambre, on s’enfonçait jusqu’aux chevilles dans<br />
les bouquins, les fringues et les papiers. Mais la nourriture<br />
qu’elle avait fait apparaître comme par enchantement –<br />
fromage de Gouda, bœuf en boîte et gaufrettes de pur blé de<br />
serre – sortait droit des Mille et Une Nuits.<br />
« Eh, fit-elle, la maison sait servir les prolos comme il<br />
convient, non ? » Elle s’appelait Nance Bettendorf. Elle avait<br />
dix-sept ans. Ses parents avaient tous deux un emploi – les<br />
salauds de profiteurs – et elle terminait une licence d’ingénieur<br />
à William & Mary. Où elle excellait, sauf en anglais. « Je<br />
suppose que tu dois vraiment avoir un problème avec les rats.<br />
Une espèce de phobie ? »<br />
Il lorgna en coin son lit. On ne le voyait pas vraiment ; ce<br />
n’était qu’une boursouflure parmi le tapis d’objets au sol. « Non.<br />
Ça m’a rappelé autre chose, c’est tout.<br />
— Quoi d’autre ? » Elle s’accroupit devant lui, la longue<br />
chemise remontant haut pour découvrir une cuisse lisse.<br />
« Eh bien… t’as jamais vu le… » Sa voix s’éleva<br />
involontairement puis avala les mots : « l’Obélisque de<br />
Washington ? De nuit ? Il y a ces deux petits… feux rouges au<br />
sommet, des balises d’aviation ou je ne sais quoi et je, et je… » Il<br />
se mit à trembler.<br />
« T’as peur de l’Obélisque de Washington ? » Nance<br />
s’esclaffa et se roula par terre de rire, faisant battre ses longues<br />
jambes bronzées. Elle portait une culotte de bikini rouge.<br />
« J’aimerais mieux mourir que devoir le regarder de<br />
nouveau », poursuivit-il d’un ton égal.<br />
Ce coup-ci, elle cessa de rire, se rassit, scruta son visage. Les<br />
dents blanches régulières mordillant sa lèvre inférieure, comme<br />
si elle venait de déterrer un truc auquel elle préférait ne pas trop<br />
penser. Finalement, elle hasarda : « Blocage mental ?<br />
— Ouais, admit-il, amer. Ils m’ont dit de ne jamais remettre<br />
les pieds dans le district. Et puis ces enculés se sont marrés.<br />
— Pour quoi t’avaient-ils pincé ?<br />
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