Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
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— Je suis un braqueur. » Il n’allait quand même pas lui dire<br />
que le véritable chef d’inculpation était le vol à l’étalage<br />
caractérisé.<br />
« Des tas de fondus d’informatique passaient leur vie à<br />
programmer des machines. Et tu sais quoi ? Le cerveau humain<br />
n’a rien à voir avec une machine, mais rien. Il ne se programme<br />
tout simplement pas de la même manière. » Deke reconnaissait<br />
ce monologue vibrant et désespéré, cette longue litanie<br />
circulaire que les solitaires débitent à leurs rares auditeurs ; le<br />
reconnaissait après une centaine de nuits froides et vides<br />
passées en compagnie d’étrangers. Nance était perdue dans son<br />
trac et Deke, dodelinant et bâillant, se demandait s’il serait<br />
encore capable de rester éveillé quand enfin ils décideraient de<br />
se mettre au pieu.<br />
« J’ai fabriqué toute seule la projection avec laquelle je t’ai<br />
frappé », dit-elle, serrant ses genoux calés sous le menton.<br />
« C’est contre les agressions, tu vois ? Il se trouvait que je l’avais<br />
sur moi et je te l’ai balancée parce que ça me paraissait marrant<br />
de te voir comme ça essayer de me fourguer ce petit<br />
programmateur indojavanais merdique. » Elle se pencha en<br />
avant et tendit de nouveau la main. « Regarde là. » Deke recula.<br />
« Non, non, pas de problème. Je te jure, c’en est un autre. » Elle<br />
ouvrit le poing.<br />
Une simple flamme bleue y dansait, parfaite,<br />
perpétuellement mouvante. « Vise-moi un peu ça, s’extasia-telle.<br />
Non, mais regarde. C’est moi qui l’ai programmée. C’est pas<br />
non plus de la vulgaire animation à sept plans. C’est une boucle<br />
continue de deux heures, sept mille deux cents secondes, jamais<br />
deux fois la même image, chaque instant aussi individualisé<br />
qu’un putain de flocon de neige ! »<br />
Le cœur de la flamme était un cristal glacé, scintillement<br />
d’éclats et de facettes qui se tordaient et disparaissaient, laissant<br />
derrière des images quasi subliminales si nettes, si vives qu’elles<br />
vous en écorchaient l’œil. Deke grimaça. Des gens, surtout : de<br />
jolis petits personnages tout nus, en train de baiser. « Merde,<br />
comment t’as réussi à faire ça ? »<br />
Elle se leva, pieds nus glissant sur les couvertures glacées de<br />
magazines, et, d’un geste mélodramatique, repoussa les<br />
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