Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
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saturant d’émissions, scellé les hublots et les écoutilles ; le<br />
Paradis est censé être une surprise pour les nouveaux arrivants.<br />
Je me surpris à me demander si Charmian était déjà<br />
retournée auprès de Jorge. Peut-être qu’elle était en train de lui<br />
cuisiner quelque chose, un de ces poissons que nous<br />
« attrapons » sitôt qu’ils sont lâchés de leur cage au fond des<br />
bassins pour nous tomber dans la main. J’imaginai l’odeur du<br />
poisson en train de frire, fermai les yeux, et vis Charmian qui<br />
pataugeait dans l’eau peu profonde, les cuisses perlées de<br />
gouttes brillantes, une fille aux longues jambes dans un vivier<br />
au Paradis.<br />
« Vas-y, Toby ! Fonce, maintenant ! »<br />
Le volume me résonna dans le crâne ; l’entraînement et le<br />
réflexe de la gestalt m’avaient déjà propulsé à mi-clairière.<br />
« Bon Dieu de bon Dieu de bon Dieu… » Le mantra de Hiro, et<br />
je sus alors que tout allait effectivement complètement de<br />
travers. Hillary, la traductrice, composait un arrière-plan sonore<br />
perçant, crépitement de glace de la BBC, tandis qu’elle débitait<br />
quelque chose à toute vitesse, un truc quelconque sur les<br />
planches anatomiques. Hiro devait avoir commandé le<br />
déverrouillage de l’écoutille par télécommande, mais il<br />
n’attendit même pas que les verrous se dévissent ; il déclencha<br />
les six boulons explosifs incorporés dans la coque et envoya<br />
valser tout le mécanisme en bloc. Qui me manqua de justesse.<br />
Je m’étais instinctivement écarté de sa trajectoire. Puis je me<br />
retrouvai en train d’escalader le flanc lisse du vaisseau, de<br />
m’accrocher à la charpente en nid d’abeilles juste à l’intérieur de<br />
l’entrée ; dans l’explosion, le mécanisme du sas avait emporté<br />
avec lui l’échelle d’alu.<br />
Et je me figeai sur place, accroupi, dans l’odeur de plastic<br />
émanant des boulons, parce que c’est à ce moment précis que la<br />
Peur me trouva, vraiment, et pour la première fois.<br />
Je l’avais déjà ressentie, la Peur, avec un grand P, mais<br />
seulement les prémices, les franges extrêmes. À présent, elle<br />
était vaste, c’était le tréfonds même de la nuit, un gouffre<br />
implacable et froid. C’étaient les derniers mots, les profondeurs<br />
de l’espace, tous les longs adieux de l’histoire de notre espèce.<br />
Elle me fit reculer en gémissant. Je tremblais, rampais, pleurais.<br />
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