Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Hiro était parti, fin des émissions. Je l’avais vu l’après-midi<br />
au rapport, comme d’habitude, et nos yeux avaient évité de se<br />
croiser. Peu importait. Je savais qu’il reviendrait. Ç’avait été le<br />
boulot habituel, en fait. Une sale journée au Paradis, mais ce<br />
n’est jamais facile. C’est dur quand on ressent la Peur pour la<br />
première fois, mais j’ai toujours su qu’elle était là, tapie à<br />
attendre. Ils ont parlé des diagrammes de Leni et de ses croquis<br />
au stylo-bille de chaînes moléculaires qui changent sur<br />
commande. Des molécules capables de fonctionner comme des<br />
interrupteurs, des éléments logiques, et même un genre de<br />
câblage, établis en couches au sein d’une seule molécule de très<br />
grande taille, en fait un ordinateur miniaturisé. Nous ne<br />
saurons sans doute jamais ce qu’elle a rencontré là-bas ; ne<br />
connaîtrons sans doute jamais les détails de la transaction. Il se<br />
pourrait qu’on le regrette, si on le découvrait. Nous ne sommes<br />
pas la seule tribu à vivre dans l’arrière-pays, nous ne sommes<br />
pas les seuls occupants de l’Hinterland à vouloir récupérer des<br />
bricoles.<br />
Au diable Leni, au diable ce Français, au diable tous ceux qui<br />
ont ramené des objets, des remèdes au cancer, des coquillages,<br />
des machins sans nom – qui nous forcent à attendre ici,<br />
remplissent les Pavillons psychiatriques, nous amènent la Peur.<br />
Raccroche-toi plutôt à cette obscurité, tiède et proche, à la<br />
respiration lente de Charmian, au rythme de la mer. Tu te<br />
défonces suffisamment là-haut ; tu l’entendras, la mer, très loin,<br />
comme dans un coquillage, derrière le bruit de fond permanent<br />
de l’ostéophone. C’est quelque chose que l’on porte tous en<br />
nous, si loin que nous soyons de nos racines.<br />
Charmian s’agita près de moi, marmonna le nom d’un<br />
étranger, le nom de quelque voyageur brisé depuis longtemps<br />
descendu aux Pavillons. Elle détient actuellement le record ; elle<br />
a maintenu en vie un homme pendant quinze jours, jusqu’à ce<br />
qu’il s’arrache les yeux des orbites avec les pouces. Elle a hurlé<br />
pendant toute la descente, s’est brisé les ongles sur le couvercle<br />
en plastique de l’ascenseur. Puis ils lui ont donné des calmants.<br />
Malgré tout, nous avons l’un comme l’autre le virus, ce<br />
besoin spécifique, cette pulsion tordue qui nous force à<br />
retourner sans cesse au Paradis. Nous l’avons l’un comme<br />
- 79 -