Il n’en est pas moins vrai que Marcel Couturier achève son ouvrage par ces lignes :« Je termine par un pronostic pessimiste pour l’avenir <strong>de</strong> l’espèce. Un jour viendra oùl’Homme en comptera à une unité près <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers individus <strong>et</strong> où l’on dorlotera <strong>dans</strong> unecage ses <strong>de</strong>rniers représentants pour <strong>les</strong> montrer au public. Sans vouloir jouer au prophète, jepense que, outre cel<strong>les</strong> du Canada, <strong>les</strong> popu<strong>la</strong>tions européennes d’ours bruns, comme cel<strong>les</strong><strong>de</strong>s Pyrénées, <strong>de</strong>s Abruzzes, <strong>de</strong> Scandinavie, <strong>de</strong>s Balkans, <strong>de</strong>s Carpates, suivront le sort <strong>de</strong>cel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s Alpes <strong>et</strong> disparaîtront à plus ou moins brève échéance. Cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Russie d’Europe<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’A<strong>la</strong>ska résisteront plus longtemps. Et c’est en Sibérie, en Chine ou en d’autres contéesasiatiques qu’il faudra chercher <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers <strong>sur</strong>vivants <strong>de</strong> l’espèce brune, mais aucun d’entreeux ne sera le témoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> prochaine g<strong>la</strong>ciation. »On pourra discuter bien sûr <strong>de</strong> sa vision d’une espèce en fin <strong>de</strong> course, mais c<strong>et</strong>teconclusion sonne alors comme une alerte sérieuse pour l’ours <strong>de</strong>s Pyrénées.1957, on ferme <strong>la</strong> chasse à l’ours pour quelques mois, <strong>et</strong> en 1962, l’ours n’est plusregardé comme un gibier par <strong>la</strong> loi. Reste <strong>la</strong> possibilité d’organiser <strong>de</strong>s battues administrativesen cas <strong>de</strong> dégâts. Mais en 1960, l’aire <strong>de</strong> répartition <strong>de</strong> l’ours s’est amenuisée à l’ouest <strong>et</strong> àl’est, <strong>et</strong> <strong>sur</strong>tout <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion a éc<strong>la</strong>té en <strong>de</strong>ux noyaux, occi<strong>de</strong>ntal <strong>et</strong> central.Curieusement, alors qu’on ne parle évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> renforcer <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion d’ours,voici ce que rapporte Jacques Burnier, ami <strong>de</strong> Robert Hainard, d’une conversation <strong>dans</strong> unbistrot <strong>de</strong> Lescun, alors qu’ils cherchaient <strong>les</strong> gypaètes à Lescun en mai 1959 : « Ils veulentconserver l’ours pour l’ornement <strong>de</strong> nos montagnes ! El<strong>les</strong> seraient aussi bel<strong>les</strong> sans ours. Ilsveulent encore amener <strong>de</strong>s ours pour qu’ils s’y reproduisent. Ça va nous attirer <strong>de</strong>s milliers d<strong>et</strong>ouristes <strong>de</strong> Lyon <strong>et</strong> <strong>de</strong> Paris ! 19 »1966, est créée <strong>la</strong> réserve <strong>de</strong> chasse <strong>de</strong> Los Val<strong>les</strong> (28 765 hectares) qui englobe enAragon une bonne part du territoire <strong>de</strong> l’ours.1967, le Parc national <strong>de</strong>s Pyrénées occi<strong>de</strong>nta<strong>les</strong> voit le jour par décr<strong>et</strong> du 23 mars, avec<strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>de</strong> l’ours comme un <strong>de</strong> ces objectifs affichés. Son histoire remonte au début dusiècle avec l’idée d’A. Martel du Club Alpin Français <strong>de</strong> créer un parc national en valléed’Ossau. Le c<strong>la</strong>ssement du site du Néouvielle <strong>et</strong> <strong>la</strong> création <strong>de</strong> <strong>la</strong> réserve <strong>de</strong> chasse du Pic duMidi d’Ossau, puis celle du Vignemale, raniment <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> faire aboutir l’idée. Las, enraison d’un découpage politique <strong>et</strong> non biologique <strong>de</strong>s limites du Parc, ce <strong>de</strong>rnier ne sera pasen me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong> préserver <strong>les</strong> habitats <strong>de</strong> l’ours. Le parc s’étend <strong>sur</strong> 60 kilomètres <strong>de</strong> long <strong>et</strong> une<strong>la</strong>rgeur <strong>de</strong> 1,5 à 12 kilomètres. C’est donc une mince ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> hauts reliefs (<strong>la</strong> zone centraleest comprise entre 1073 <strong>et</strong> 3298 mètres) qui ne comprend pas <strong>de</strong> grands massifs forestiers,dont <strong>les</strong> plus riches sont justement situées à <strong>de</strong> plus basses altitu<strong>de</strong>s.Il a une zone centrale <strong>de</strong> 45 707 hectares (15 parties <strong>de</strong> communes concernées) <strong>et</strong>206 352 hectares <strong>de</strong> zone périphérique, ce qui fait <strong>de</strong> lui le parc national français au plus fortratio zone périphérique/zone centrale : 5 hectares <strong>de</strong> zone périphérique sans <strong>protection</strong>particulière contre 1 hectare avec une <strong>protection</strong> qui n’a cependant rien d’intégral. Si <strong>la</strong> chasseest interdite en zone centrale, l’exploitation forestière y est permise ainsi que le pastoralisme,activités qui peuvent être très perturbatrices pour <strong>les</strong> écosystèmes. Ce parc est frontalier <strong>de</strong>celui d’Or<strong>de</strong>sa (15 608 hectares) créé en 1918 <strong>et</strong> agrandi en 1982. Ce <strong>de</strong>rnier fut <strong>sur</strong>tout créépour protéger le <strong>de</strong>rnier noyau <strong>de</strong> bouqu<strong>et</strong>ins <strong>de</strong>s Pyrénées, dont <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière femelle s’estéteinte en 1996.19 S. Carbonnaux, Le Cercle rouge. Voyages naturalistes <strong>de</strong> Robert Hainard <strong>dans</strong> <strong>les</strong> Pyrénées, Hesse, 2002.14
Le Parc ne sait que faire pour protéger l’ours. Avec l’idée <strong>de</strong> détourner l’ours <strong>de</strong>s brebis,son directeur Pierre Chimits a fait introduire <strong>de</strong>s marmottes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> vallées d’Aspe <strong>et</strong>d’Ossau, pensant qu’el<strong>les</strong> intéresseraient l’ours, fait p<strong>la</strong>nter <strong>de</strong>s arbres fruitiers qui doiventdonner dix ans plus tard ou fait encore creuser <strong>de</strong>s mares à grenouil<strong>les</strong>. Le ton d’une l<strong>et</strong>treenvoyée à Robert Hainard dénote l’embarras <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction du Parc : « (…) Je viens vous<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si vous ne verriez pas d’autres sources <strong>de</strong> nourriture naturelle sous <strong>la</strong> forme parexemple <strong>de</strong> semis ou p<strong>la</strong>ntation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> c<strong>la</strong>irières ce certains tubercu<strong>les</strong> susceptib<strong>les</strong>d’intéresser l’ours. Bref, je serais très heureux <strong>de</strong> recevoir vos suggestions en <strong>la</strong> matière quej’essaierais <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre le plus rapi<strong>de</strong>ment possible en pratique. (…) 20 »Et l’illusion d’une conservation <strong>de</strong> l’ours par le Parc <strong>de</strong>meure pour <strong>de</strong> longues années.Pourtant, en 1965, lors d’une séance du C.N.P.N. consacrée à ce proj<strong>et</strong>, M. Giban <strong>de</strong>l’I.N.R.A. constatait que « si l’on veut parvenir à une véritable <strong>protection</strong> <strong>de</strong> l’ours, il fautvoir grand, c<strong>et</strong> animal ayant besoin <strong>de</strong> vastes espaces pour vivre <strong>et</strong> se développer. » Elle<strong>de</strong>meure même à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> l’at<strong>la</strong>s <strong>de</strong>s Parcs nationaux (M.A.T.E.) 21 .1968. L’Office national <strong>de</strong>s forêts se mécanise. La construction <strong>de</strong>s routes s’accélère.1970. Dernière autorisation d’achat <strong>de</strong> strychnine, dont <strong>les</strong> paysans ont <strong>de</strong> grossesréserves…27 juill<strong>et</strong> 1971. Création par décr<strong>et</strong> du ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Protection <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nature <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’Environnement. Un portefeuille explosif, dixit le professeur <strong>de</strong> droit Michel Prieur, qui voitse succé<strong>de</strong>r 7 ministres <strong>et</strong> 4 secrétaires d’Etat jusqu’en 1978.1971. François Merl<strong>et</strong>, un <strong>de</strong>s grands précurseurs français <strong>de</strong> <strong>la</strong> chasse photographique,fait paraître à Pau aux éditions Marrimpouey jeune, Seigneur <strong>de</strong>s Pyrénées, l’ours. Ce livrecontient plusieurs photographies en couleurs <strong>de</strong> l’ours <strong>de</strong>s Pyrénées <strong>et</strong> un vibrant « S.O.S.pour nos <strong>de</strong>rniers ours ». Il subsisterait 35 ours <strong>dans</strong> <strong>les</strong> Pyrénées.1972. Interdiction totale <strong>de</strong> <strong>la</strong> chasse à l’ours, y compris en battue administrative(Journal officiel, 15 février 1973). En Espagne, l’ours brun est déc<strong>la</strong>ré espèce protégée pardécr<strong>et</strong> du 15 octobre 1973.1973. Jean Dorst, une <strong>de</strong>s sommités <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature en France, s’appuie <strong>sur</strong>Marcel Couturier pour s’opposer à <strong>la</strong> réintroduction <strong>de</strong> l’ours <strong>dans</strong> le Vercors, malgré unrapport favorable <strong>de</strong> Robert Hainard commandé par le Muséum national d’histoire naturelle.Dorst craint une cohabitation difficile avec <strong>les</strong> bergers (il se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> même si l’ours nepourrait pas en croquer un - sic !), voire avec <strong>les</strong> touristes, <strong>et</strong> constate que <strong>les</strong> Suisses ontabandonné l’idée <strong>de</strong> réintroduire l’ours chez eux. « La tentation est gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> venir faire <strong>sur</strong>notre territoire <strong>de</strong>s expériences qui risquent <strong>de</strong> comprom<strong>et</strong>tre l’image <strong>de</strong> marque <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>protection</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature » écrit-il à un <strong>de</strong> ses col<strong>la</strong>borateurs. Dorst refuse aussi <strong>la</strong> réintroduction<strong>de</strong>s grands rapaces mais accepte celle du lynx, expérience qui donne <strong>de</strong> bons résultats enSuisse. Gran<strong>de</strong> déception <strong>et</strong> colère <strong>de</strong> Hainard : « Toute ma vie, j’aurai traîné <strong>la</strong> lâch<strong>et</strong>é <strong>de</strong>sofficiels ! Il déconseille <strong>la</strong> réintroduction <strong>de</strong> l’ours, par contre il adm<strong>et</strong>trait le lynx. Parbleu !parce que d’autres l’ont déjà fait contre vents <strong>et</strong> marées ! 22 »20 L<strong>et</strong>tre du 31 décembre 1969 (archives Fondation Hainard).21 Voir : http://at<strong>la</strong>s.parcsnationaux.org/pyrenees/page.asp?page=822 L<strong>et</strong>tre à D. Ariagno du 21 décembre 1973 (archives Fondation Hainard).15
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