LE PASTORALISME ET LA PRETENDUE BIODIVERSITEOU JAMAIS L’HOMME, MÊME AVEC SON MOUTON, N’A CREE LA MOINDRE ORCHIDEE 59Au fil <strong>de</strong>s années, <strong>la</strong> question du maintien du pastoralisme pour défendre <strong>la</strong> biodiversitéest <strong>de</strong>venue centrale au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>protection</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> faune, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’ours brun enparticulier. C<strong>et</strong>te question est d’autant plus importante qu’elle est instrumentalisée par <strong>les</strong>éleveurs <strong>les</strong> plus opposés à l’ours, que nous appelons ultrapastoraux, <strong>et</strong> par extensionadversaires <strong>de</strong>s prédateurs.DéfinitionsOn ne définit jamais assez <strong>les</strong> mots que l’on utilise. Le pastoralisme paraît banal.Vraiment ? Le terme pastoralisme est sans doute d’apparition assez récente, Littré ne lementionne pas <strong>dans</strong> son dictionnaire. On y trouve pastoral : qui appartient aux pasteurs ou auxbergers. Comme <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s termes formés avec le suffixe « isme », le pastoralisme porteen lui une vision du mon<strong>de</strong>, un contenu idéologique. Lequel ? Celui d’un mon<strong>de</strong> façonné parl’homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisation agro-pastorale.Le terme biodiversité est né encore plus récemment. Ce n’est qu’au milieu <strong>de</strong>s années80 qu’il est créé à partir <strong>de</strong> l’expression anglophone biological diversity, <strong>et</strong> c’est à l’occasiondu somm<strong>et</strong> p<strong>la</strong>nétaire <strong>de</strong> Rio <strong>de</strong> Janeiro en juin 1992, qu’il fera vraiment <strong>sur</strong>face. L’article 2<strong>de</strong> <strong>la</strong> Convention <strong>sur</strong> <strong>la</strong> diversité biologique définit <strong>la</strong> biodiversité comme : « <strong>la</strong> variabilité <strong>de</strong>sorganismes vivants <strong>de</strong> toute origine y compris, entre autres, <strong>les</strong> écosystèmes terrestres, marins<strong>et</strong> autres écosystèmes aquatiques <strong>et</strong> <strong>les</strong> complexes écologiques dont ils font partie; ce<strong>la</strong>comprend <strong>la</strong> diversité au sein <strong>de</strong>s espèces <strong>et</strong> entre espèces ainsi que celle <strong>de</strong>s écosystèmes. »L’écologue, naturaliste <strong>et</strong> essayiste Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Génot a cependant bien raison <strong>de</strong> seméfier d’un terme aujourd’hui très galvaudé : « voilà un terme savant, tout droit sorti <strong>de</strong>suniversités, agréé par <strong>les</strong> États lors d’une convention internationale <strong>et</strong> <strong>la</strong>rgement diffusé par<strong>les</strong> médias. C’est l’auberge espagnole, on y trouve tout ce qu’on y apporte, du virus à l’ours,<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte <strong>la</strong> plus banale à <strong>la</strong> plus rare. Le fait que tous <strong>les</strong> aménageurs s’en soientemparés comme d’un saint sacrement me le rend <strong>de</strong> plus en plus suspect. C’est un écran <strong>de</strong>fumée, qui cache n’importe quoi, <strong>de</strong>s doug<strong>la</strong>ss introduits pas <strong>les</strong> forestiers aux lâchersd’espèces stressées <strong>de</strong>s chasseurs. 60 »L’essayiste Jaime Semprun, lui, a décelé <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> création <strong>de</strong>s néologismes <strong>de</strong> ce typel’extension du calcul rationnel à tous <strong>les</strong> aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. « Grâce à ces nouveaux mots, là oùil n’y avait qu’indistinction <strong>et</strong> vague sentimentalisme, on analyse <strong>de</strong>s données, on spécifie <strong>de</strong>sfonctions, on é<strong>la</strong>bore <strong>de</strong>s procédures. Et ce faisant on arrache <strong>les</strong> notions aux songeries dusubstantialisme, à <strong>la</strong> fantaisie <strong>de</strong>s définitions qualitatives, au vieil animisme qui imprégnaittant <strong>de</strong> définitions traditionnel<strong>les</strong>. Pour apprécier <strong>les</strong> progrès ainsi accomplis, il faut fairel’effort <strong>de</strong> se souvenir qu’on n’a par exemple pas toujours connu ni me<strong>sur</strong>é <strong>la</strong> biodiversité,mais qu’autrefois un archéolocuteur <strong>de</strong>vait se contenter <strong>de</strong> parler à ce suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’"exubéranteprodigalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature", <strong>et</strong> autres clichés du même tonneau. 61 »59 Nous empruntons c<strong>et</strong>te expression à Gilbert Coch<strong>et</strong>, voir ci-après.60 Ecologiquement correct ou <strong>protection</strong> contre nature ? Édisud, 1998. Le premier essai, tonique, <strong>de</strong> J.-C. Génot.61 Défense <strong>et</strong> illustration <strong>de</strong> <strong>la</strong> nov<strong>la</strong>ngue française, Éditions <strong>de</strong> l’encyclopédie <strong>de</strong>s nuisances, 2005, pp.28 <strong>et</strong> 29.Un excellent p<strong>et</strong>it ouvrage qui s’inscrit <strong>dans</strong> le combat <strong>de</strong> George Orwell contre <strong>la</strong> substitution du <strong>la</strong>ngage.48
C’est pourquoi, nous préférons toujours le terme <strong>de</strong> nature, déjà défini par ailleurs.Repères <strong>historique</strong>sAvant tout, faisons ce qu’on ne fait jamais assez : reprenons <strong>les</strong> échel<strong>les</strong> <strong>de</strong> temps,comme le propose François Moutou, vétérinaire <strong>et</strong> épidémiologiste à l’Agence française <strong>de</strong>sécurité sanitaire <strong>de</strong>s aliments (A.F.S.S.A.), prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société française d’étu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong><strong>protection</strong> <strong>de</strong>s mammifères (S.F.E.P.M.) <strong>et</strong> membre du comité scientifique <strong>de</strong> Ferus.La preuve <strong>la</strong> plus ancienne <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence humaine en Europe est celle d’un fragment <strong>de</strong>mandibule <strong>et</strong> d’une prémo<strong>la</strong>ire inférieure vieux <strong>de</strong> 1,2 à 1,3 million d’années, découvertsrécemment <strong>sur</strong> le site pré<strong>historique</strong> d’Atapuerca (Burgos, Espagne). L’art apparaît entre 30 <strong>et</strong>40 000 ans en Europe. La statue d’ours <strong>de</strong> <strong>la</strong> grotte <strong>de</strong> Montespan (Haute-Garonne, Pyrénées),considérée comme <strong>la</strong> plus vieille au mon<strong>de</strong>, a 15 ou 20 000 ans d’âgeLes moutons, chèvres <strong>et</strong> bœufs furent domestiquées au 9 ème millénaire avant J.-C., auProche-Orient <strong>et</strong> sont apparus en Europe occi<strong>de</strong>ntale il y a environ 7 à 7 500 ans. Dans <strong>les</strong>Pyrénées, l’élevage s’impose il y a environ 5 000 ans. Au regard <strong>de</strong> l’échelle du temps,rapportée à plus d’un million d’années, l’élevage est très mo<strong>de</strong>rne. Rappelons que <strong>la</strong>domestication est l’asservissement préférentiel <strong>et</strong> déformant d’une fraction <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature,végétale ou animale. La gran<strong>de</strong> faune sauvage, présente bien avant <strong>la</strong> colonisation humaine <strong>et</strong><strong>la</strong> domestication, était beaucoup plus riche qu’aujourd’hui.Car <strong>la</strong> civilisation agro-pastorale s’est <strong>sur</strong>tout illustrée par un appauvrissement accéléré<strong>de</strong> <strong>la</strong> faune européenne. Parmi d’autres, <strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> Jean-Denis Vigne, directeur <strong>de</strong>recherches au C.N.R.S. <strong>et</strong> par ailleurs directeur d’un <strong>la</strong>boratoire d’archéozoologie au Muséumnational d’histoire naturelle, démontrent <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s importants <strong>de</strong> <strong>la</strong> société néolithique <strong>sur</strong> <strong>la</strong>nature. Dans son passionnant ouvrage Les origines <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture. Les débuts <strong>de</strong> l’élevage 62 , <strong>et</strong>sous un chapitre intitulé « La "domestication <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature" », Jean-Denis Vigne, dressel’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> chute complète <strong>de</strong> <strong>la</strong> biodiversité <strong>de</strong>s î<strong>les</strong> méditerranéennes engagée dès lenéolithique, sous l’action <strong>de</strong>s hommes agriculteurs <strong>et</strong> éleveurs. C’est ainsi que nous apprenonsque <strong>les</strong> mammifères autochtones <strong>de</strong> Corse ont tous disparu (5 espèces dont 3 au moinsprobablement par <strong>la</strong> faute <strong>de</strong> l’homme), i<strong>de</strong>m en Crète à l’exception d’une musaraigne. J.-D.Vigne n’hésite pas à parler <strong>de</strong> « catastrophe écologique » car ces espèces endémiques ontdisparu à tout jamais. « À l’échelle du Bassin méditerranéen, c’est donc une chute globale quis’est produite. Même si l’on ne peut pas affirmer que l’extinction <strong>de</strong>s espèces <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille(éléphant, hippopotame nain, cervidés…) soit le fait <strong>de</strong> l’homme, il y a fort à parier que celle<strong>de</strong>s rongeurs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s insectivores résulte, <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> î<strong>les</strong> comme en Corse, <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>sdégradations du paysage liées aux activités agro-pastora<strong>les</strong> engagées dès le néolithique. »Sur le continent européen, <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> faune qui subsiste (ours, loups, lynx, gloutons <strong>et</strong>ongulés sauvages) est l’ombre <strong>de</strong> ce qu’elle fut. Le cheval sauvage <strong>et</strong> l’aurochs ou bœufsauvage ont disparu à <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>historique</strong>. Le bison a été sauvé in extremis en Pologne,l’é<strong>la</strong>n a considérablement régressé, <strong>et</strong>c.Revenons à Jean-Denis Vigne qui va encore plus loin <strong>dans</strong> sa conclusion <strong>et</strong> stimule <strong>de</strong>srecherches pour le moins excitantes : « L’histoire longue, celle qui voit plus loin que le bout<strong>de</strong> ses textes, celle qui inscrit <strong>la</strong> préhistoire <strong>dans</strong> ses préoccupations, apporte aussi matière à62 Edité par Le Pommier, 2004.49
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