Daumier, peintre et lithographe - Histoire et Patrimoine du Vexin
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Les outils, au reste, lui importaient peu. Banville, qui le vit<br />
souvent au labeur, en témoigne :<br />
« Il dessinait toujours avec les débris des anciens crayons, se<br />
décidant enlin à les refondre quand il ne pouvait plus faire autrement,<br />
mais le ])lus souvent utilisant, ressuscitant malgré eux les bouts de<br />
Gravons qui ne pouvaient même plus être taillés, <strong>et</strong> où il fallait alors<br />
inventer, trouver un angle qui se prêtât au fiévreux caprice de la main<br />
agile, mille fois plus varié <strong>et</strong> intelligent que la pointe stupide <strong>et</strong> parfaite<br />
obtenue au moyen <strong>du</strong> canif, <strong>et</strong> qui dans le feu de la composition se<br />
brise ou s'écrase. Je dirais volontiers que c'est à sa coutume d'utiliser<br />
ces rognures, ces rogatons, ces bouts de crayons, qui demandaient<br />
grâce, <strong>et</strong> ne l'obtenaient pas, que <strong>Daumier</strong> a dû quelque cbose de la<br />
largeur <strong>et</strong> de la bardiesse de son dessin, où le trait gras <strong>et</strong> vivant est de<br />
la même étolTe que les ombres <strong>et</strong> les hachures, si je ne savais qu'on<br />
n'explique pas de tels résultats par de si p<strong>et</strong>ites causes (1). »<br />
C<strong>et</strong>te page de Banville, M. Henry Marcel l'a magistralement<br />
complétée :<br />
« <strong>Daumier</strong>, avec quelques traits, indique les plans <strong>du</strong> modelé, les<br />
divisions principales <strong>du</strong> corps ; il le proj<strong>et</strong>te <strong>et</strong> le fait tourner dans<br />
l'espace, à l'aide de larges localités de lumière <strong>et</strong> d'ombre, obtenues<br />
par la réserve <strong>du</strong> nu de la ])ierrc <strong>et</strong> l'écrasement puissant <strong>du</strong> crayon<br />
lithographique. Il ne veut pas d'un outil trop propre, à pointe effdée,<br />
donnant des traits fins <strong>et</strong> menus ; il le cogne sur la table, pour que sa<br />
cassure irrégulière entaille la planche d'accents violents, d'âpres égratignures.<br />
Ses noirs, il les caresse, les approfondit, les velouté amou-<br />
reusement ;<br />
ne leur doit-il pas la basse ])rofonde, doucement profonde,<br />
sur laquelle chanteront en mo<strong>du</strong>lations fines <strong>et</strong> légères, les valeurs<br />
dilTérentes des gris <strong>et</strong> des blancs? Les demi-teintes sont obtenues, soit<br />
par des grattages creusant <strong>et</strong> amincissant les noirs, soit, le plus sou-<br />
vent, par un jeu infiniment varié de hachures dont le treillis, tour à<br />
tour lâche ou serré, fournit toutes les gradations nécessaires, <strong>du</strong> ton le<br />
plus clair à la teinte la plus foncée, qui ne soit pas l'ombre pure...<br />
Une belle planche de <strong>Daumier</strong> est une chose singulière <strong>et</strong> presque<br />
unique, à la fois très âpre <strong>et</strong> très douce; une force énorme tantôt s'y<br />
(1) Th. de Banville. Op. cit.