Daumier, peintre et lithographe - Histoire et Patrimoine du Vexin

Le poète des Veilles poétiques s'inclina devant cet arrêt. Honoré
Daumier serait un artiste...
Et pourtant ces premières leçons chez le chevalier Lenoir, ces
premiers principes le rehutèrent. Les doctrines qu'on y enseignait
proscrivaient trop la vie mouvementée et frémissante, pour retenir
jamais ce libre écolier de la rue.
Il se lassa bientôt de copier invariablement des nez et des oreilles,
des oreilles et des nez. X'appartenait-il point à cette neuve génération
romantique qui allait secouer si farouchement le joug des théories
davidiennes, dédaignant la froideur des études fragmentaires pour
rechercher la fougue synthétique des ensembles ?
De jour en jour, Daumier parut moins assidu à suivre les cours
d'Alexandre Lenoir. Tout comme aux jours d'épreuve où il était saute-
ruisseau, Honoré se reprit à llàner à travers Paris, se mêlant à la
foule des badauds, observant les bourgeois enflés d'importance, guet-
tant les mystères des citadines, s'oubliant surtout au Boulevard du
(j'ime, devant les parades mirifiques où défdaient des géants, des nains,
des hercules, des sauvages, des Lapons, des albinos, des moutons à
cinq pattes, des veaux à deux tètes, des lapins savants ;
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savourant les
boniments du marchand de cirage anglais, velu d'un habit rouge, de
l'arracheur de dents, costumé en général mexicain, de l'homme aux
souris blanches, de l'homme aux lézards, qui vendait du savon à
décrasser les habits... Quelle riche moisson pour l'avenir récoltait là,
sans y songer, l'indolent petit Marseillais ! (1).
Mais ses parents ne l'entendaient pas ainsi. Jean-Baptiste et sa
femme ne voyaient qu'une chose : c'est qu'après avoir tant bataillé
pour devenir un artiste. Honoré désertait l'atelier, conuiie il avait
déserté l'étude et la librairie. Ne pourrait-on jamais rien tirer de ce
droite ?
— Mon pauvre Honoré, maugréait M'"^ Daumier, tu ne sais décidément
pas ce que tu veux faire.
— Je veux dessiner.
— Mais Lenoir...
(I) Sans parler de taiil de lithographies, de lavis, de peinlures, inspirés par la vie foraine,
n'oublions pas (lue Daumier sera le premier à illuslrer Jean-Paul Chopparl, où revivront tous ses
souvenirs du Boulevartl du Crime.