— Je n’ai qu’une vue fragmentaire des choses, alors que vous
avez le don d’en voir la totalité.
Il essayait de deviner où voulait en venir son interlocuteur,
mais le visage du baron Meliadus demeurait impénétrable.
— C’est justement de détails que nous avons besoin, lança le
Granbreton, si nous voulons voir nos desseins se réaliser avec
toute la célérité voulue.
À présent, le comte Airain entrevoyait les raisons de la
présence de Meliadus, mais il n’en laissa rien deviner. Il se
borna à prendre une expression légèrement étonnée et à remplir
de vin la coupe vide de son hôte.
— Notre destin est de conquérir l’Europe, continua le baron.
— Il semble, en effet, que ce soit là votre destin. Et, en
principe, je suis favorable à vos plans.
— Vous m’en voyez ravi, comte Airain. On donne souvent de
nous une image déformée, et nos ennemis sont nombreux, qui
répandent sur notre compte les pires calomnies.
— Que ces rumeurs soient vraies ou fausses, je ne m’en
soucie guère. Seuls vos buts m’intéressent.
— Ainsi, vous ne vous opposeriez pas à une extension de
l’empire ?
En disant ces mots, le baron Meliadus scrutait attentivement
le visage de son interlocuteur.
— Certes, répondit le comte dans un sourire, je ne m’y
opposerais pas, si votre avance ne vise pas le territoire que je
protège, la Kamarg.
— Seriez-vous donc favorable à la signature d’un traité de
paix entre nos deux nations ?
— Je n’en vois pas la nécessité. Mes tours offrent une
protection suffisante.
— Hmmm…
Le baron gardait les yeux fixés sur le sol.
— Ainsi, tel était l’objet de votre visite ? Proposer un traité de
paix ? Et même une alliance, peut-être ?
Le baron acquiesça.
— Oui, en quelque sorte.
— Je ne souhaite pas m’opposer à la Granbretanne, expliqua
Airain. Je ne me dresserais contre vous que si mon territoire
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