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RAPPORT SUR <strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong><br />
ENTRE DÉNI ET RÉALITÉ<br />
◗ Les stéréotypes ne sont pas seulement appliqués à des<br />
groupes de personnes mais peuvent être intériorisés par<br />
les personnes mêmes qui en sont la cible. C’est ce qu’on<br />
appelle «la menace du stéréotype». Mis en évidence par<br />
les américains Claude Steel et Joshua Aronson 23 en 1995,<br />
« ce concept s’attache à expliquer la diminution des<br />
performances des individus lorsque ces derniers se<br />
sentent jugés au prisme d’un stéréotype négatif 24 .» Les<br />
stéréotypes fragilisent le sentiment de compétence<br />
personnelle des individus car «le seul fait de savoir que<br />
l’on est censé être moins bon, compte tenu de son groupe<br />
d’appartenance, crée une pression évaluative qui contrarie<br />
et réduit la capacité de travail et la confiance en soi 25 » ;<br />
◗ Les stéréotypes ne créent pas les inégalités ; ils les<br />
légitiment en les naturalisant. Et ce faisant, ils se rendent<br />
invisibles, d’où la difficulté à les débusquer.<br />
b. Une multiplicité des définitions et des approches<br />
autour de la notion de sexisme<br />
Une deuxième difficulté, pour définir le mot «sexisme», tient<br />
à la grande variété des définitions qui, aujourd’hui en France,<br />
tournent autour de cette notion de sexisme sans clairement<br />
l’appréhender dans l’entièreté de ses composantes. Si la<br />
réalité du sexisme semble incontestable, elle se double d’un<br />
flou considérable quant à la compréhension du concept,<br />
défini tantôt en termes psychologiques ou psychanalytiques,<br />
tantôt en termes systémiques désignant l’ensemble des<br />
institutions, des lois, des pratiques politico-culturelles qui<br />
régissent les rapports sociaux de sexe (Kandel, 2012).<br />
A cet égard, une comparaison avec le concept de racisme<br />
semble s’imposer dans la mesure où, comme pour le<br />
racisme, il convient de distinguer le sexisme individuel et le<br />
sexisme institutionnel 26 , sans se limiter, -pour reprendre et<br />
modifier la formulation de Valérie Sala Pala en substituant<br />
le mot sexisme à racisme-, «à une idéologie exprimée ou<br />
à des actions visiblement ‘sexistes’ mais imprégnant aussi<br />
le fonctionnement ’aveugle’ des institutions, fonctionnement<br />
qui reprodui(sai)t silencieusement les inégalités de ‘sexe’».<br />
Elle permet d’étudier «toutes les normes, croyances, images,<br />
bref tous les raccourcis mentaux et pratiques qui s’institu -<br />
tionnalisent en une sorte de culture d’institution et peuvent<br />
avoir pour conséquence, désirée ou non, de produire ou<br />
reproduire des inégalités (…) » de sexe. Cette approche<br />
permet d’éviter une lecture purement individuelle du<br />
sexisme et d’échapper à l’idée d’un phénomène social<br />
uniforme et universel en l’accrochant, grâce à l’analyse de<br />
la matérialisation du sexisme dans une institution donnée,<br />
dans un contexte socio historique précis, voué à évoluer<br />
dans l’histoire et l’espace.<br />
Au-delà de cette clarification sur les enjeux individuels et<br />
institutionnels du sexisme, deux types de définition semblent<br />
ici les plus répandus, celle se référant à une idéologie ou<br />
des croyances qui proclament et justifient la suprématie<br />
d’un sexe sur l’autre et celle qui recourt à ses manifestations<br />
et pratiques, se référant à une sorte de continuum de<br />
violences, à la fois sexistes et sexuelles. Le dénominateur<br />
commun de ce phénomène polymorphe étant la domination<br />
d’un sexe sur l’autre, dans tous les cas, le sexisme est<br />
considéré comme un instrument de pouvoir et d’exclusion<br />
des femmes du monde du travail.<br />
Une approche par l’idéologie et les croyances<br />
Le sexisme peut être ainsi défini comme « une idéologie<br />
qui érige la différence sexuelle en différence fondamentale,<br />
déterminant un jugement sur l’intelligence, les compétences<br />
et les comportements 27 ».<br />
Toujours par analogie au racisme, Sheldon Vanauken 28<br />
définit ainsi le sexisme en 1969 : «Tout comme est raciste<br />
celui ou celle qui proclame et justifie la suprématie d’une<br />
’race’ par rapport à l’autre, est sexiste celui ou celle qui<br />
proclame et justifie la suprématie d’un sexe par rapport à<br />
l’autre 29 ». Pour lui,« le parallèle entre sexisme et racisme<br />
sont forts et évidents », et il suggère que le terme sexisme<br />
soit utilisé de préférence à ceux de «chauvinisme mâle»<br />
ou de «suprématie mâle» 30 . Le sexisme est pensé comme<br />
«un racisme de sexe,», analyse reprise par Liliane Kandel:<br />
« le terme de sexisme sert à désigner l’ensemble des<br />
institutions (sociopolitiques, économiques, juridiques,<br />
symboliques) et des comportements individuels et collectifs<br />
qui semblent perpétuer et légitimer la domination des<br />
hommes sur les femmes 31 ».<br />
23 - Claude M. Steele et Joshua Aronson, Stereotype threat and the intellectual test performance of African American, in journal of personality and social<br />
psychology,january 1999- vol. 35, n°1, p.4-28<br />
24 - HCE, Rapport relatif à la lutte contre les stéréotypes, Pour l’égalité femmes-hommes et contre les stéréotypes de sexe, conditionner les financements publics,<br />
2014, p. 38<br />
25 - Brigitte GRESY, La vie en rose, Albin Michel, 2014, p. 119<br />
26 - V. Sala Pala, Faut-il en finir avec le concept de racisme institutionnel ? in Regards sociologiques, n°39, 2010, PP. 31-47<br />
27 - www.préjugés-stéréotypes.net/main.htm<br />
28 - Sheldon Vanauken, écrivain en vue, prononce en 1969 un discours dans le cadre d’une journée d’action organisée par un comité étudiants de Nashville,<br />
intitulé « Freedom for Movements Girls – Now » au cours duquel il définit le sexisme<br />
29 - Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, Belgique, Définition du concept de sexisme, 2009, p. 35<br />
30 - Liliane Kandel, Sexisme-Racisme, vraies alliance ou faux-amis ? dans «Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitique, 40 ans du MLF», édition ixe, 2012.<br />
31 - Cf note 30<br />
PREMIÈRE PARTIE<br />
<strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong> :<br />
Invisibilité, Jeu de masques et déni<br />
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