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LE SEXISME DANS LE MONDE DU TRAVAIL

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sociale (famille, éducation, travail). L’obsolescence de cet<br />

outil au fil du temps, marquée par l’absence de réponse<br />

aux questions posées car jugées non pertinentes par les<br />

personnes enquêtées, a mis en évidence que ces<br />

dernières n’assu maient plus ouvertement leurs préjugés à<br />

l’égard des femmes et que des glissements en termes<br />

d’adhésion aux croyances s’étaient opérés. Emergent alors<br />

fortement trois réactions nouvelles : le déni que la<br />

discrimination envers les femmes soit toujours un problème<br />

d’actualité, le rejet des demandes des femmes perçues<br />

comme exagérées et le ressentiment à l’égard des politiques<br />

en faveur des femmes.<br />

Les théories et le travail empirique menés vers la fin des<br />

années 1990 ont ainsi réinterrogé la conception traditionnelle<br />

du sexisme (flagrant, visible et sans ambiguïté) et élaboré<br />

différentes échelles du sexisme contemporain par référence<br />

aux échelles du racisme contemporain, pour tenir compte<br />

des évolutions et des normes égalitaires. Ces études ont<br />

mis en évidence que le sexisme prenait des formes plus<br />

déguisées et subtiles parce qu’il s’exprimait dans le cadre<br />

de normes culturelles et sociales instituées, l’obligeant à<br />

des reconfigurations diverses. Swim et ses collègues vont<br />

ainsi théoriser cette forme plus masquée de sexisme à<br />

travers l’échelle du «sexisme moderne» tandis que Tougas 43<br />

et ses collègues vont construire l’échelle du «néo-sexisme».<br />

Au même moment, Glick et Fiske (1996) 44 suggèrent un<br />

autre modèle de mesure du sexisme à travers l’Ambivalent<br />

Sexism Inventory. Ils envisagent le sexisme comme une<br />

construction multidimensionnelle consistant en deux attitudes<br />

ambivalentes, (le sexisme bienveillant et le sexisme hostile),<br />

où le sexisme bienveillant serait utilisé pour compenser<br />

indirectement sa forme plus hostile.<br />

Ainsi, à partir de ces outils, se dessine l’évolution en trois<br />

temps de la notion de sexisme.<br />

2.1. Le sexisme ouvertement hostile<br />

Pendant de nombreuses années, le concept de sexisme a<br />

essentiellement été associé au machisme, à la misogynie, à<br />

l’expression d’une hostilité flagrante et explicite à l’égard<br />

des femmes, fondée sur l’attribution, aux femmes et aux<br />

hommes, de capacités innées et sur une naturalisation des<br />

compétences. Le sexisme hostile consiste en une attitude<br />

négative et un traitement différent et défavorable à l’égard<br />

des femmes, intentionnel, visible et sans ambigüité et qui<br />

peut être facilement documenté (Benokraitis 1986). Il renvoie<br />

toujours à des stéréotypes liés aux capacités physiques des<br />

femmes ou à leur place au travail, avec l’idée que les femmes<br />

sont mieux adaptées à certains rôles et à certains espaces.<br />

Ce sexisme hostile s’exprime ouvertement, aujourd’hui<br />

encore, dans deux espaces bien identifiables : les métiers<br />

traditionnellement masculins et la gouvernance.<br />

Déni de légitimité et absence de reconnaissance entraînant<br />

un manque de confiance en soi d’un côté, mise à l’épreuve,<br />

voire bizutage professionnel de l’autre, sont les deux<br />

facettes principales du sexisme hostile dans les «métiers<br />

d’homme». Empruntons au BREF, publication du Centre<br />

d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ),<br />

quelques exemples : « Ce fut un accueil de la part des<br />

techniciens de terrain impitoyable: t’as voulu venir là, tu te<br />

débrouilles ! C'est-à-dire aucune aide, rien ! Ils étaient<br />

vraiment impitoyables 45 » rapporte ainsi une femme, techni -<br />

cienne à qui ses collègues masculins reprochent de venir<br />

envahir leur espace où ils étaient «entre hommes»; «D’office,<br />

on ne vous fait pas confiance. Donc, il faut faire plus et<br />

plus longtemps. Après, par contre, il faut tenir le coup.», dit<br />

encore une autre femme technicienne expliquant les mille<br />

tracas dont elle fut l’objet.<br />

Quant aux femmes managers, 56% d’entre elles, d’après<br />

l’enquête du CSEP/LH2 précitée, déclarent avoir été témoins<br />

de sexisme hostile exprimé par des phrases comme « En<br />

tant que femme, elle n’est pas à sa place»; «Elle n’est pas<br />

à la hauteur» ; «Elle ne tiendra pas le coup; c’est trop dur<br />

pour elle».<br />

Le sexisme hostile, intentionnel et visible est encore vivace<br />

aujourd’hui, mais surtout dans des lieux où les femmes<br />

occupent des postes non traditionnels ou sont dotées<br />

d’un statut qui ne les protège pas.<br />

2.2. Le sexisme masqué et subtil<br />

La multiplication des actions féministes et des travaux<br />

menés au cours des années 1970, réfutant le discours de<br />

naturalisation et d’essentialisation du féminin et son rôle<br />

de légitimation de la domination masculine, puis plus tard<br />

l’introduction d’un cadre légal prohibant les actes de<br />

discrimination et de harcèlement au travail, conjuguée<br />

avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail<br />

et la mise en place de politiques promouvant la place des<br />

femmes au sein des organisations de travail, a rendu<br />

l’expression de cette forme de sexisme politiquement<br />

incorrecte. Admettre ouvertement que l’on croit à l’infériorité<br />

des femmes par rapport aux hommes devient inaudible<br />

dans le contexte du travail.<br />

Toutefois, loin de disparaître, l’expression d’attitudes sexistes<br />

à l’égard des femmes prend des formes nouvelles qui<br />

s’avèrent plus complexes dans leurs manifestations et<br />

43 - Tougas F., Brown R., Beaton A. M. et Joly S., Neosexism : Plus ça change, plus c’est pareil, Personality and Social Psychology Bulletin, 21, 1995, p. 842-849.<br />

44 - P. Glick et S. T. Fiske, The Ambivalent Sexism Inventory: Differentiating Hostile and Benevolent Sexism, Journal of Personality and Social Psychology, 1996,<br />

Vol. 70, No. 3, 491-512.<br />

45 - Bref du CEREQ, Femmes dans des « métiers d’homme » : entre contraintes et déni de légitimité, n° 324, novembre 2014, p.2<br />

PREMIÈRE PARTIE<br />

<strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong> :<br />

Invisibilité, Jeu de masques et déni<br />

20

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