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compris entre salarié-e-s du même âge et de même<br />
niveau de responsabilité. Sous couvert de gentillesse ou<br />
d’humeur folâtre, elle induit une forme de lien unilatéral,<br />
qui, sous le masque de la protection, institue une sorte de<br />
contrôle et de domination et réifie l’autre dans une relation<br />
inégale.<br />
Les effets sur les femmes sont du même ordre que ceux<br />
de la fausse séduction évoquée ci-dessous.<br />
3.5. La fausse séduction :<br />
le masque du compliment<br />
Les remarques sur l’apparence physique ou des signes<br />
inadaptés de séduction fonctionnent en fait comme des<br />
traits de sexisme ordinaire : remarques appuyées sur la<br />
tenue, sur la coiffure par exemple, déclarations qui se<br />
veulent exagérées et donc humoristiques sur le caractère<br />
irrésistiblement séduisant de telle ou telle, déshabillage par<br />
le regard etc.<br />
Une apparence anodine, voire flatteuse<br />
Là encore, les personnes commettant ces actes sexistes<br />
s’abritent derrière des justifications sur le caractère bien<br />
intentionné des propos, les faisant passer pour un simple<br />
compliment. Ce type de «compliment» est encore largement<br />
considéré par une majorité de personnes comme «normal»,<br />
«acceptable», «pas si grave», rendant dès lors les manifes -<br />
tations de ce type de sexisme particulièrement difficiles à<br />
identifier.<br />
Car, même s’ils renvoient à une image positive, ces<br />
comportements constituent bien une forme de sexisme<br />
ordinaire dans la mesure où ils ont pour effet de ramener<br />
les femmes au statut de femme-objet. Il ne s’agit pas ici de<br />
récuser les jeux de séduction qui, immanquablement,<br />
existent dans toute organisation de travail. «Ce qui est visé<br />
ici, précisément, ce sont les comportements qui répondent<br />
à trois conditions : une sexualisation des rapports profession -<br />
nels sur un mode unilatéral, sans réciprocité de la partenaire;<br />
un rejet et un malaise de la partenaire qui ne veut pas de<br />
cette instrumentalisation ; enfin l’obligation où elle se trouve<br />
de ne pas réagir, compte tenu de la très grande tolérance<br />
sociale à cet égard et même parfois une assignation à rire<br />
contre son gré 85 . » Voilà les femmes réduites à l’état<br />
d’objet, alors que tout rapport de séduction « implique la<br />
rencontre entre deux sujets et non un sujet et un objet 86 .»<br />
Des effets de rétrécissement<br />
Il est sans doute difficile de comprendre que complimenter<br />
quelqu’un sur son apparence peut être offensif dans le<br />
contexte du travail mais nombre d’études 87 interrogent<br />
fortement les questions de la « séduction » ou de la<br />
«drague» à la française car elles véhiculent trop souvent<br />
un rapport essentiellement inégalitaire. La difficulté réside<br />
toutefois dans le fait que nombre de personnes, y compris<br />
les femmes, n’ont pas conscience de l’ambivalence fonda -<br />
mentale de cette «séduction» qui fait mine de les valoriser.<br />
Pourtant, les conséquences de ces pratiques sont loin<br />
d’être négligeables et l’expérience d’un commentaire<br />
apparemment positif sur l’apparence physique peut avoir<br />
des effets négatifs pour certains individus. Ces consé -<br />
quences sont de deux ordres :<br />
- Une perturbation de l’image corporelle<br />
De nombreuses études ont mis en évidence qu’il existait<br />
un lien entre le fait d’être l’objet de commentaires critiques<br />
sur son apparence physique et l’insatisfaction des femmes<br />
vis-à-vis de leur corps, qui peut générer en parallèle le<br />
développement de troubles alimentaires et psychologiques.<br />
D’autres chercheurs ont suggéré que même les compliments<br />
sur l’apparence pouvaient contribuer à des perturbations<br />
de l’image corporelle 88 .<br />
Ce type d’attitudes ou de comportements renforce l'idée<br />
que la valeur inhérente des femmes est liée à leur beauté<br />
physique alors que les hommes sont moins susceptibles<br />
d’être confrontés à des remarques sur leur physique.<br />
- Une réduction de son périmètre de vie au travail<br />
Des chercheurs qui se sont penchés sur ce type de<br />
comportement parviennent à la conclusion d’un rétrécis -<br />
sement de son espace au travail : «Quand une femme croit<br />
qu'un homme se concentre sur son corps, elle «rétrécit »<br />
sa présence ... en écourtant son temps de parole» (Saguy<br />
et autres 89 ). Ces auteurs soupçonnent que l’objectivation<br />
invite les femmes à aligner leur comportement sur ce<br />
qu'on attend d'elles, être des choses muettes dépourvues<br />
d'autres traits marquants et intéressants: «Traitez quelqu'un<br />
comme un objet, et il va se comporter comme tel», sans<br />
compter que susciter chez les femmes des inquiétudes<br />
concernant leur apparence peut tout simplement les distraire<br />
de leur travail 90 .<br />
85 - Brigitte Grésy, opus cité p. 47<br />
86 - Clémentine Autain, Alter égaux, Robert Laffont, 2001.<br />
87 - Rachel M. Calogero, Sylvia Herbozo and J. Kevin Thompson, Complementary weightism : the potential costs of appearance-related commentary for women’s<br />
self objectification, Psychology of Women Quarterly, March 2009, Volume 33, Issue 1, pages 120–132,<br />
88 - Saguy et al., Interacting Like a Body: Objectification Can Lead Women to Narrow Their Presence, Social Interactions, Psychological Science, 2010.<br />
89 - Idem<br />
90 - L’objectivation sexuelle des femmes: un puissant outil du patriarcat, Introduction, Partie 1 : définition et concept-clés, août 2013,<br />
http://antisexisme.net/2013/08/13/objectivation-1-2/<br />
PREMIÈRE PARTIE<br />
<strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong> :<br />
Invisibilité, Jeu de masques et déni<br />
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