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RAPPORT SUR <strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong><br />
ENTRE DÉNI ET RÉALITÉ<br />
Cette forme de sexisme est particulièrement active à<br />
l’encontre des femmes managers. Les attributs qui<br />
caractérisent les managers (autorité et aptitude à la<br />
décision) sont des qualités associées à des stéréotypes<br />
masculins. Ainsi, lorsque les femmes sont en compétition<br />
avec des hommes et sont confrontées à cette mise en<br />
cause de leur aptitude au leadership, elles risquent de<br />
perdre face à leurs rivaux qui seront jugés plus qualifiés.<br />
Quant aux femmes qui transgressent les prescriptions liées<br />
aux stéréotypes de sexe en agissant de manière autoritaire,<br />
elles suscitent des réactions négatives 82 .<br />
Alors que, ces dernières années, les femmes ont commencé<br />
à briser le plafond de verre et à gagner leur entrée dans les<br />
niveaux supérieurs des organisations, elles continuent de<br />
faire face à des résistances collectives ainsi qu’à des mises<br />
en doute personnelles de leur légitimité qui expliquent la<br />
relative lenteur de leurs progrès en ce domaine.<br />
Ainsi fonctionnent les injonctions paradoxales: si les femmes<br />
travaillent en répondant aux exigences du poste, elles peuvent<br />
courir le risque d’être évaluées négativement parce qu’elles<br />
ne se conforment pas aux stéréotypes de sexe (agir de<br />
manière féminine, être agréable etc.). Mais si elles répondent<br />
aux attentes prescriptives liées aux stéréotypes de sexe,<br />
elles courent le risque d’être vues comme incompétentes,<br />
incapables de mener une carrière à succès et de se<br />
comporter en leader. En d’autres termes, les femmes<br />
aspirant à des postes de gouvernance devraient choisir<br />
entre être aimées mais ne pas être respectées ou être<br />
respectées mais ne pas être aimées, dilemme auquel les<br />
hommes, qui ne sont pas pris dans des conflits de<br />
légitimité, n’ont pas appris à se confronter.<br />
Des effets négatifs sur les femmes contraintes<br />
à des stratégies de « passing »<br />
Pour Isabel Boni 83 , dont les travaux portent sur le métier de<br />
conseils en management, «le discrédit de l’autorité féminine<br />
au travers des moqueries (comparaison de consultantes<br />
avec des maîtresses d’école, par exemple), est souvent<br />
plus rampant qu’ouvert mais sa présence dans les<br />
interactions entre femmes et hommes au travail constitue<br />
pour ces femmes un facteur très important de complication<br />
du travail et de la performance».<br />
Dès lors, les femmes sont contraintes à des stratégies de<br />
détournement de ce sexisme, la plus fréquente d’entre<br />
elles consistant à user de façon mesurée de certains<br />
marqueurs ritualisés de la féminité tout en cherchant à en<br />
limiter la dimension de sexualisation. Plus largement, pour<br />
être acceptées comme expertes légitimes, les femmes<br />
doivent opérer « un passing » (Boni, 2012), une sorte de<br />
passage, qui comporte des conséquences et des difficul -<br />
tés non négligeables, en raison d’une tension permanente<br />
entre deux injonctions contradictoires : être «féminine» et<br />
« se comporter comme un homme d’affaires ». En cas<br />
d’échec, les consultantes sont exposées à une disqualifi -<br />
cation parfois brutale et à des conséquences professionnelles<br />
sérieuses.<br />
Cette forme de sexisme plus ou moins visible est préjudi -<br />
ciable aux femmes qui souhaitent occuper des postes de<br />
responsabilité. Notons que les hommes aussi, mais dans<br />
une moindre mesure, peuvent être stigmatisés pour violer<br />
les normes de la dominance masculine au travail. Les cibles<br />
les plus vulnérables sont les hommes qui apparaissent<br />
efféminés, autrement dit qui ne se conforment pas suffisam -<br />
ment aux codes masculins.<br />
3.4. Les interpellations familières :<br />
une forme de paternalisme<br />
infantilisant<br />
Les interpellations familières se caractérisent par le fait de<br />
s’adresser aux femmes en employant des termes tels que<br />
«ma petite», «ma mignonne», «ma belle», «ma chérie».<br />
Apparemment anodines, voire bienveillantes et contribuant<br />
à donner un bon climat dans les organisations de travail,<br />
elles constituent de fait une forme de sexisme ordinaire.<br />
L’enquête du CSEP/LH2 révèle, à cet égard, l’ambivalence<br />
des femmes face à ce genre de pratiques : 56% d’entre<br />
elles jugent ces remarques inappropriées mais 62%<br />
estiment, dans le même temps, qu’elles sont bienveillantes<br />
ou flatteuses.<br />
Bien que nombre de personnes aient tendance à<br />
considérer de tels propos comme sans importance, ce<br />
langage de type condescendant, infantilise les femmes,<br />
les dévalorise et, sous couvert de protection, de galanterie,<br />
de badinage, et en fait de paternalisme, met les femmes<br />
mal à l’aise 84 .<br />
Le non parallélisme des formes avec les modes d’adresse<br />
en direction des hommes est un signe supplémentaire du<br />
caractère ambivalent de ces interpellations. Les occurrences<br />
du genre «mon joli», «mon petit», «mon chéri» sont généra -<br />
lement absentes dans le monde du travail. Cette familiarité<br />
imposée, loin d’être un liant social, est de fait l’expression<br />
d’une forme de condescendance, de paternalisme, y<br />
82 - Laurie A Rudman, Julie E. Phelan, Backlash effects for disconfirming gender stereotypes in organizations, Research in Organizational Behavior, 2008, 28, 61-79.<br />
83 - Isabel Boni-Le Goff, Ni un homme, ni une femme, mais un consultant, Régimes de genre dans l’espace du conseil en management, octobre-décembre 2012,<br />
Travail et Emploi 132.<br />
84 - Bref du Cereq, Femmes dans des « métiers d’hommes » entre contraintes et déni de légitimité, n°324 novembre 2014.<br />
PREMIÈRE PARTIE<br />
<strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong> :<br />
Invisibilité, Jeu de masques et déni<br />
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