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LE SEXISME DANS LE MONDE DU TRAVAIL

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RAPPORT SUR <strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong><br />

ENTRE DÉNI ET RÉALITÉ<br />

Ces résultats sont toutefois à relativiser et participent sans<br />

doute de la volonté des femmes enquêtées de se sentir<br />

actrices face aux évènements qui les concernent. La<br />

plupart des échanges sur ce qui leur est arrivé se font avec<br />

des collègues ou leur famille et leurs amis. Seulement 3%<br />

d’entre elles en ont parlé aux représentants du personnel<br />

et 8% à leur supérieur hiérarchique. Les voies d’évocation<br />

des faits ressentis et éventuellement de recours ne semblent<br />

pas à la hauteur des enjeux et semblent s’apparenter<br />

surtout, même si la teneur des réponses apportées n’est<br />

pas précisément documentée, à des réponses de proximité<br />

à vocation de neutralisation rapide et «sans vagues» du<br />

problème.<br />

D’ailleurs, pour nombre de chercheurs, seule une minorité<br />

de femmes décident de se confronter à l’auteur du<br />

comportement sexiste et d’exprimer son insatisfaction en<br />

lui disant de cesser ces agissements 95 . Si la résistance<br />

prend la forme d’un combat collectif, alors elle est moins<br />

risquée, car l’engagement individuel dans un processus de<br />

résistance et de contestation peut, sur le long terme, être<br />

très dommageable et source de mesures de représailles.<br />

2 - Le déni et l’évitement<br />

Dans la grande majorité des cas, les femmes exposées au<br />

sexisme, y compris le plus flagrant, n’y répondent pas. La<br />

plupart du temps, elles font profil bas (Epiphane et autre 96 ).<br />

Les femmes rapportent, en effet, que répondre à des remar -<br />

ques sexistes, en faisant valoir le caractère inapproprié des<br />

propos, représente une attitude plus risquée au regard de<br />

la manière dont l’auteur va le percevoir que d’ignorer la<br />

remarque (Swim & Hyers, 1999) et peut entraîner un discrédit<br />

professionnel 97 .<br />

De ce fait, les femmes évoquent un certain nombre de<br />

raisons interpersonnelles pour ne pas rapporter les incidents<br />

sexistes, anticipant les éventuelles mesures de représailles<br />

dont elles pourraient faire l’objet, comme le fait de ne pas<br />

être prises au sérieux. Elles mettent également en avant<br />

leur souhait de ne pas risquer de mettre en cause ou de<br />

blesser l’auteur ou le caractère ineffectif de cette action<br />

pour changer le comportement de la personne. Entrer en<br />

résistance, au risque de se retrouver isolées, représente,<br />

pour elles, un coût inacceptable car les femmes qui osent<br />

se confronter à l’auteur des actes sexistes sont souvent<br />

perçues, dans la communauté de travail, comme hypersensibles,<br />

émotives, plaintives, fauteuses de trouble,<br />

instables, incapables, désagréables voire hystériques.<br />

Elles sont vues comme des brebis galeuses et véhiculent<br />

une mauvaise image des femmes.<br />

Entre en jeu, en effet, le poids de la norme d’internalité,<br />

mise en lumière par la psychologie sociale et opposant<br />

l’idéal méritocratique qui relie les performances d’un<br />

individu à ses compétences propres et l’idéal égalitaire qui<br />

pose l’égalité entre les groupes sociaux. Selon Martinot 98 ,<br />

l’idéologie méritocratique conduit à percevoir négativement<br />

une personne qui dénonce le sexisme d’autrui et positive -<br />

ment une personne qui s’incrimine personnellement et qui<br />

pense qu’elle mérite ce qui lui arrive. Les femmes, engagées<br />

activement dans des activités associatives et partageant un<br />

idéal d’égalité, pensent exactement le contraire. D’où la<br />

nécessité de valoriser et de rendre saillante l’égalité entre<br />

les groupes sociaux dans le contexte du travail pour éviter<br />

la culpabilisation des femmes victimes de sexisme.<br />

3 - La banalisation et l’euphémisation<br />

Plus encore, les femmes sont souvent conduites à minimiser<br />

la portée de ces actes, voire à les transformer en actes<br />

gratifiants, à les «blanchir 99 » pour pouvoir survivre dans un<br />

univers hostile. Ces stratégies de banalisation et d’euphémi -<br />

sation 100 sont à l’œuvre surtout chez les femmes occupant<br />

des postes de pouvoir, par crainte d’un discrédit profes -<br />

sionnel. La plupart du temps, ces femmes se sentent<br />

obligées d’en faire deux fois plus pour échapper à la<br />

menace du sexisme qui fonctionne comme instrument<br />

d’exclusion et de contrôle.<br />

L’euphémisation peut aller jusqu’à considérer que le<br />

sexisme est une sorte de mise à l’épreuve, de bizutage<br />

professionnel dont elles sortent grandies in fine. Citons à<br />

cet égard cet exemple de l’étude du Céreq précitée :<br />

«Quelque part, je les remercie, parce que, grâce à ça, je<br />

me suis toujours dit : je me débrouillerai seule ; j’y arriverai<br />

seule et je serai aussi bien qu’eux. Donc, ça a été très<br />

positif. Au début, ça a été aussi des pleurs d’entendre<br />

toutes ces réflexions parce que c’était vraiment méchant ;<br />

Et tout doucement, je suis montée en compétence »<br />

(Femme, Planificatrice) 101 .<br />

95 - Delphine Martinot, Professeure des Universités en Psychologie Sociale, Université de Clermont-Ferrand, Co-Responsable de l’équipe “Régulation sociale des<br />

cognitions et comportements” 2012-2016, (audition du 21 mai 2014).<br />

96 - Dominique Epiphane, Irène Jonas, Virginie Mora, Dire ou ne pas dire….les discriminations, les jeunes femmes face au sexisme et au racisme, Agora<br />

Débats/jeunesses, 2011, n°57<br />

97 - Isabel Boni-Le Goff, Ni un homme, ni une femme, mais un consultant, Régimes de genre dans l’espace du conseil en management, octobre-décembre 2012,<br />

Travail et Emploi 132<br />

98 - Delphine Martinot, Professeure des Universités en Psychologie Sociale, Université de Clermont-Ferrand, Co-Responsable de l’équipe “Régulation sociale des<br />

cognitions et comportements” 2012-2016, (audition du 21 mai 2014).<br />

99 - Ibidem Epiphane<br />

100 - Audition d’Isabel Boni<br />

101 - BREF du Cereq, opus cité, p. 2<br />

PREMIÈRE PARTIE<br />

<strong>LE</strong> <strong>SEXISME</strong> <strong>DANS</strong> <strong>LE</strong> <strong>MONDE</strong> <strong>DU</strong> <strong>TRAVAIL</strong> :<br />

Invisibilité, Jeu de masques et déni<br />

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