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La main froide

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ne connaissant même pas le nom des organes. J’avais le coup de<br />

<strong>main</strong>, et c’est tout ce qui comptait.<br />

Au bout d’un an passé dans la jungle, coupé du reste du<br />

monde, il était devenu une célébrité parmi les soldats. On<br />

racontait qu’il portait chance, que planait sur lui la grâce des<br />

fous. On le surnomma « <strong>main</strong> d’or », « doigts de fée », « le<br />

tricoteur ». Les GI’s le préféraient aux véritables toubibs qui en<br />

prirent ombrage.<br />

— <strong>La</strong> guerre finie, concluait-il, quand on m’a démobilisé, un<br />

lieutenant m’a sermonné : « Faites gaffe, Brannigan. Chez nous<br />

vous êtes un héros, vous avez sauvé la peau à des dizaines de<br />

gars, mais dehors ce sera différent. Ne vous avisez pas de<br />

continuer, ça ne vous vaudrait que des ennuis. »<br />

Alors il était retourné à ses montres, mais sans plaisir. Les<br />

rouages d’acier n’avaient plus aucun attrait pour lui. En fait, les<br />

horloges avaient deux défauts, il en prenait seulement<br />

conscience : elles n’étaient pas vivantes et ne disaient jamais<br />

merci.<br />

À cet endroit du récit Dorana fit une ou deux tentatives pour<br />

ramener le vieil homme à la réalité, mais il ne parut pas<br />

l’entendre. Une fois sur les rails, il fonçait tel un train lancé à<br />

pleine vitesse et ne percevait plus rien du paysage aux alentours.<br />

Dorana appréhendait toujours cet instant, lorsqu’il évoquait<br />

« l’accident »…<br />

— J’aurais dû profiter de la bourse accordée aux GI’s pour<br />

entreprendre des études, murmura-t-il. Mais la théorie, ce<br />

n’était pas mon truc. Quand les profs se mettaient à parler, leurs<br />

voix se changeaient en bourdonnement dans ma tête. Je suis un<br />

manuel, un artisan.<br />

Alors il s’était installé dans un bled. L’histoire classique. Une<br />

pompe à essence, un chien maigre remontant la rue principale,<br />

des buissons de genévriers roulant dans la poussière. <strong>La</strong><br />

fournaise en été, la banquise en hiver… Il y avait connu une<br />

femme, une veuve de guerre mère d’une petite fille, Daisy. Ils se<br />

voyaient en cachette, quand la gosse dormait, ou faisait<br />

semblant pour ne pas les gêner.<br />

Ça avait duré un an, et puis…<br />

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