130102_ANT.pdf - Ecole alsacienne
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syndicalisme révolutionnaire. Le penseur allemand pensait que l’utopie chiliaste, qu’il appelle<br />
« orgiastique » se manifestait encore au XX° siècle dans les mouvements révolutionnaires.<br />
Norman COHN va accentuer cette analyse en assimilant certains mouvements millénaristes à<br />
l’anarchisme communiste. Mais le marxisme lui-même, éternel rival de l’anarchisme, est souvent<br />
vu comme une utopie post millénariste, le prolétariat y remplaçant le peuple élu, et le communisme<br />
final le règne de Dieu sur Terre. C’est encore Hilaire MULTON qui fournit une formule choc en<br />
parlant de « parousie laïcisée » pour désigner l’utopie marxiste.<br />
b) Hérésie<br />
Au sens ancien (hereses = sectes), le mouvement hérétique est un mouvement de petits<br />
groupes vivant contre une pensée figée, officielle, orthodoxe. Ces communautés en vivant en<br />
marge, en refusant une pensée unique, manifestent une forme de pluralisme réfractaire et une<br />
description d’un autre monde qui peuvent dont les rapprocher des utopies ouvertes. Mais le<br />
sectarisme, autre forme de fermeture, s’éloigne rapidement de toute connotation libertaire.<br />
C’est sans doute Thomas MOLNAR en 1967 qui avec L’utopie, éternelle hérésie traduit le<br />
mieux cette définition.<br />
Le millénarisme est souvent rejeté du champ des utopies car procédant d’une vision<br />
théologique du monde, où « la volonté humaine serait absente » (TROUSSON) puisque la Terre<br />
Promise ou le Salut sont assurés après bien des péripéties par une autorité divine. Jean SERVIER<br />
différencie totalement messianisme et utopie pour les mêmes raisons. Dans un sens libertaire on<br />
ne peut apparemment que partager ces positions de fond.<br />
Mais c’est réduire le millénarisme à son substrat théorique ou idéologique religieux, et<br />
c’est oublier des positionnements et des pratiques d’inspiration libertaire qui sont apparus dans<br />
certains mouvements et pensées, et qui demandent à être développés. La « volonté humaine »<br />
est donc également présente dans ces mouvements populaires, même si ce n’est pas vraiment le<br />
cas pour responsables ou meneurs. Je rejoins donc ici les analyses de COHN ou de Henri<br />
DESROCHE 71 , pour qui messianismes et utopies sont inextricablement mêlés, souvent confondus<br />
par les auteurs ou les acteurs…<br />
8. L’utopie = paradis, harmonie, arcadie, éden, âge d’or...<br />
Beaucoup d’utopies sont des eudémonies, c’est à dire une recherche du bonheur<br />
terrestre, une volonté hédoniste affichée que certains millénarismes ont revendiqué et que l’on<br />
retrouve dans maints écrits ou programme politiques. Tous ces genres font partie des utopies<br />
dites transcendantes, et parfois à cause de ce paramètre fondamental, rejetés du cadre<br />
utopique (TROUSSON, ROUVILLOIS…). Elles sont majoritairement nostalgiques, régressives et<br />
peu utopiques au sens progressiste d’un autre avenir possible. Elles nous renvoient à un passé<br />
mythique ou très lointain, où l’harmonie régnait, en symbiose avec une nature luxuriante et<br />
paisible. Cependant il est incontestable que l’on peut revendiquer « l’âge d’or » comme une<br />
proposition positive pour son temps, une utopie du changement rêvé, ce que faisait déjà ÉRASME<br />
au XVI° siècle quand il utilisait cette formule pour désigner le renouveau des « belles lettres » et<br />
des humanités classiques, ce qu’il réalisait de fait avec sa tentative de « refondation » positive<br />
du christianisme de son temps.<br />
Le paradis assimilé au « jardin des délices », à un « espace édenique » au sens propre,<br />
semble alors une belle image de cette utopie. C’est cependant oublier un peu rapidement que le<br />
terme paradis veut au départ, dans les cultures moyen-orientales, désigner un monde clos,<br />
fermé, réservé à des élus privilégiés (un des autres sens de paradis étant le « lieu des élus »).<br />
La Bible et le Coran poursuivent cette tradition du monde clos, donc en quelque sorte d’une<br />
utopie réservée. L’Inde semble proche de cette interprétation.<br />
Cette idéalisation de la nature confine parfois à la caricature, comme dans les<br />
« pastorales » ou « thébaïdes » qui donnent du monde rural une vision aseptisée, totalement<br />
déformée, et forment une imagerie théâtrale dont on peut marquer l’apogée à l’Époque moderne.<br />
Seuls les jardins paradisiaques chinois (yuan ou yuanlin) qui désignent pourtant<br />
également un verger plus ou moins fermé, maintiennent une vision d’ouverture sur le monde<br />
71 DESROCHE Henri Sociologie de l’espérance, Paris, Calmann-Lévy, 1973<br />
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