130102_ANT.pdf - Ecole alsacienne

a) Les individualistes : l’utopie élitiste ?
Han RYNER (pseudonyme d’Henri NER 1861-1938) est un des écrivains anarchistes
individualistes des plus féconds, cité par l’Académie GONCOURT comme le « prince des
romanciers » nous indique Ugo FEDELI. Enseignant et philosophe, il multiplie les écrits, articles et
conférences (en jouant sur ses dons oratoires) pour diffuser sa position individualiste. Sa
production est gigantesque. Il est surtout célèbre en France et Belgique et dans le milieu
anarchiste ibérique. À sa critique de la société oppressante et conformiste de son temps, il
ajoute des visées utopiques souvent novatrices
Dans « Les pacifiques » en 1914 il donne au courant pacifiste un roman engagé et assez
courageux.
Dans « L’amour plural » en 1927, il propose sa variante de l’amour libre, très fouriériste.
Refusant l’exclusivisme et la jalousie jugés réducteurs et anti-naturels, il se range pour des
amours librement choisis, simultanés, égalitaires. Mais il s’oppose à la variante mécanique et
somme toute peu libertaire que propose son rival dans le milieu individualiste, ARMAND, qui se
range pour une communauté des « compagnons de l’en Dehors » où les échanges amoureux
sont une règle tacite trop systématique.
E. ARMAND (E. pour Émile ou pour Ernest selon les analystes) se préoccupe très tôt
des utopies, surtout dans leur aspect expérimental. Sa brochure de 1958 À l’écart des
impostures sociales se consacre surtout aux difficultés rencontrées par les colonies
expérimentales de l’Amérique du Nord. En 1934 la brochure en castillan Formas de vida en
común sin estado ni autoridad/Formes de vie en commun sans État ni autorité allait dans le
même sens. Pourtant, en bon individualiste, il se méfie de tous les projets sociaux contraignant
pour l’individu, y compris ceux promus par d’autres anarchistes.
De son vrai nom, Ernest JUIN, ARMAND est surtout connu pour ses idées sur la
« camaraderie amoureuse », qu’il diffuse de manière innombrable dans la presse, les
conférences, les brochures ou les pièces de théâtre. Par exemple dans Les loups dans la ville,
écrit en 1907 et publié en 1928, l’utopie est doublement présente. D’abord pour l’éloge de cet
amour libéré et cette exaltation de la vie qu’espère l’auteur pour le présent et pour le futur. Cet
éloge a d’autant plus de force qu’il est exprimé par une femme, Henriette « Moi aussi j’aime la
vie, je l’aime ample, intense. Je ne ressens que pitié ou mépris pour ceux qui la redoutent, qui
fuient les expériences qu’elle amène ou qu’elle sollicite. J’aime les coteaux chargés de vigne,
j’aime la forêt aux grands arbres, j’aime le murmure du ruisseau limpide. J’aime rêver au bord
de la mer. Il me déplaît de me réserver à un homme unique. Je veux boire à la coupe de la
pluralité amoureuse, en camarade qui ne veut ni faire souffrir, ni regarder à l’apparence. Je
veux que parmi mes amants figurent des jeunes et des âgés. Je ne veux ni dédaigner la sève
ardente du printemps, ni faire fi des raffinements mûris de l’automne… La vie variée,
passionnée, certes, mais pas la vie artificielle… » 79 . Ces idées vitalistes, dérangeantes,
ARMAND les voit également se réaliser dans l’utopie de l’anarchiste du futur, un peu élitiste,
membre d’une avant-garde qui marche son chemin, même si la masse ne suit pas : « je crois que
mon idée d’avant-garde concilie tout… Une avant-garde composée d’êtres qui risquent tout,
brûlent leurs vaisseaux derrière eux pour tenter la grande aventure, l’aventure suprême : vivre
sa vie dans un monde où chacun vit d’une vie d’emprunt. Une avant-garde de pionniers frayant
la voie, défrichant, hachant, les uns tombant en route, les autres abandonnant la partie, c’est
vrai, mais remplacés bientôt par de nouvelles recrues… C’est cette avant-garde là qui
constitue l’espèce anarchiste future… » 80 .
b) Autour de l’amour libre
De la fin du XIX° siècle aux années 1930, le débat sur l’amour libre est très dense dans
les milieux libertaires. Il recouvre une telle masse de domaines qu’il est difficile d’en faire une
synthèse claire. Par exemple il rejoint les notions générales de féminisme, de « générations
conscientes » et de planning familial, de liberté de la femme, de lutte contre l’esclavage du
mariage, de vie libre naturiste et naturelle, d’amour et de passions sous toutes leurs formes
enfin…Seuls les militants les plus conscients et les plus radicaux englobent toutes ces
79
ARMAND Ernest Les loups dans la ville 1907, -in-Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat,
Tome I, 2001, p.466
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ARMAND Ernest Les loups dans la ville 1907, -in-Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat,
Tome I, 2001, p.498
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