130102_ANT.pdf - Ecole alsacienne
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charge utopique y est énorme, l’auteur avouant « …et je m’abandonnais souvent avec joie à des<br />
rêves d’aventures, songeant avec une imagination enfiévrée à un monde dans lequel je n’avais<br />
jamais vécu, mais que je désirais… ». Il rappelle que dans les premières lignes « nosotros en las<br />
trincheras vivíamos felices » (nous, dans les tranchées, nous étions heureux) ; « Por qué ?<br />
Porque ninguno era superior a ninguno. Todos amigos, todos compañeros, todos guerrilleros<br />
de la Révolución »(Pour quoi ? Parce que personne n’est supérieur à personne. Tous amis,<br />
tous compagnons, tous guerrilleros de la révolution ).<br />
Cette militarisation au début ne change pratiquement rien pour les colonnes du Nord. Les<br />
grades sont introduits, les militaires prennent un peu plus de rôle, mais les colonnes restent<br />
assez homogènes en 1937 pour préserver leur organisation interne et leur ciment idéologique. La<br />
26° Division conserve le tutoiement et le rôle déterminant du comité de Guerre, même si parfois<br />
Ricardo SANZ laisse apparaître des traces d’autoritarisme, notamment vis à vis de son<br />
commissaire politique Ricardo RIONDA. 70 Mais dans les Colonnes du Centre la militarisation est<br />
plus rapide, de la part des dirigeants eux-mêmes (Cipriano MERA) ou de la part du pouvoir<br />
central (la Colonne de Fer soumise à de multiples pressions et isolée doit souvent céder alors<br />
qu’elle était peut-être la plus homogène dans sa pensée anarchiste).<br />
On ne dira jamais assez, cependant, ce drame qu’a été la militarisation pour des militants<br />
majoritairement idéalistes, au meilleur sens du terme. Dans ses superbes mémoires, stupéfiantes<br />
vu l’extraordinaire parcours qu’il a subi, le jeune officier républicain (et non anarchiste malgré<br />
quelques sympathies pour leur idéal) Arthur Kéry ESCORIGUEL décrit très bien cette rupture<br />
subie : « J’avais été témoin d’un fait très important dans cette guerre, qui laissait les rêves, les<br />
idéalismes et peut-être ‘’les utopies’’ de côté pour admettre que nous allions de plus en plus<br />
vers une guerre classique, de ‘’territoire’’. La dissolution des milices, et l’intégration de cellesci<br />
aux Unités Militaires de la nouvelle Armée de la République fut très dure pour les hommes<br />
volontaires du front. Ils avaient l’impression qu’ils perdaient quelques chose qui les accrochait<br />
à leurs rêves : les droits sociaux, humains, de justice mais surtout à leurs idéaux politiques<br />
ou syndicaux pour lesquels la plupart de ces combattants du front s’étaient battus dans les<br />
barricades. Le port d’un uniforme, le salut militaire, la discipline, l’arrivée des officiers de<br />
réserve mobilisés, des jeunes sortis des Écoles de Guerre, mais surtout des appelés,<br />
coupaient pour ces volontaires de la première heure leurs «’’rêves’’ chaque fois plus<br />
amoindris. Les pertes subies avaient diminué leur nombre ! Le ‘’cordon ombilical’’ qui les<br />
rattachait à leurs idéaux était coupé ! Les noms romantiques de leurs colonnes ‘’Liberté’’,<br />
‘’Rouge et Noir’’, ‘’Aiglons’’ etc.. étaient remplacés par les nouvelles numérotations sans âme.<br />
En plus, les nouveaux incorporés obéissaient pour la plupart à la mobilisation forcée. Les<br />
jeunes officiers républicains plus formés pour la guerre que pour la ‘’révolution’’ parlaient un<br />
autre langage » 71 . Bref cet enthousiasme initial perdu est certainement une des causes de la<br />
défaite, par des gens qui se sentent évidemment moins concernés, et moins mobilisés.<br />
En 1936, Camillo BERNERI ne disait pas autre chose 72 , en regrettant ce qui pour lui était<br />
une trahison de la part des dirigeants du mouvement anarchiste. Sa position simple était de<br />
maintenir la guerre révolutionnaire, seul moyen de tenir tête, voire de triompher face aux armées<br />
nationalistes grâce à l’enthousiasme et à l’intérêt maintenus des militants. Noam CHOMSKY<br />
reprend cette analyse du philosophe italien en 1968 73 et son principal biographe récent l’illustre<br />
de solide manière 74 .<br />
Les militants anarchistes vont cependant assumer dans l’armée régulière des carrières<br />
parfois exemplaires, comme le major-général Miguel GARCÍA VIVANCOS à la 25° division,<br />
Antonio ORTIZ (commandant de la 24° Division), Ricardo SANZ (commandant de la 26° Division,<br />
ex Colonne DURRUTI) ou surtout Cipriano MERA à la tête de la 14° Division. José PELLICER, le<br />
plus antimilitariste peut-être, devient commandant de la 83° Brigade (ex Colonne de Fer).<br />
L’étonnant Cipriano MERA , simple milicien ouvrier madrilène en juillet 1936, est major en octobre,<br />
70<br />
ARNAL Jésus Yo fui secretario de DURRUTI. Memorias de un cura argonés en las filas<br />
anarquistas, 1995<br />
71<br />
ESCORIGUEL Arthur Kéry Le parcours d’un républicain espagnol, Besançon , Maîtrise, 278p,<br />
2002<br />
72<br />
BERNERI Camillo Guerra di classe, 1936<br />
73<br />
CHOMSKY Noam L’amérique et ses nouveaux mandarins (1968), p.286<br />
74<br />
MADRID S<strong>ANT</strong>OS Francisco Camillo BERNERI, un anarchico italiano (1897-1937), Libro 3,<br />
Pistoia, 1985<br />
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