« La démocratie doit chercher sa validité et son ... - fasopo

société où le moindre service demande à être défrayé, ce n’est pas l’argent que prennent les
électeurs qui est important pour ces derniers, mais le geste. Les électeurs accordent aux politiques
une aisance financière, et il va de soi pour eux qu’après l’avoir écouté, il donne quelque chose
pour boire et manger, si possible. Ainsi, les cadres universitaires qui ne le font pas sont perçus
comme des ‘‘mal polis’’ indignes de leur confiance.
Dans cet ordre d’idées, ne connaissant pas au préalable les politiciens de la ville qui
viennent dans les campagnes pour solliciter les suffrages lors des élections nationales, les
populations les mettent tous dans le même panier et supposent que si le premier a pu donner
cent mille, le dernier en est aussi capable. Ne pas le faire est assimilé à un manque de respect de
ce dernier. Les « leaders régionaux » connus n’ont même plus besoin de descendre forcément
dans les campagnes pour donner de l’argent avant qu’ils aient les voix des électeurs de la localité.
Nous entendons les objections qui crient au vote communautaire. Nous y reviendrons.
Sans nous attarder sur une quelconque revanche des petites gens sur les grands, par ce
truchement, l’électeur y voit la preuve de son appartenance à l’Etat, car il profite aussi des
subsides du « gâteau national ». L’esprit de partage des ‘‘hauts placés’’ témoigne de leur « vertu
civique ». Outre les donnes sociales ci-dessus évoquées, pour saisir le clientélisme, nous avons
montré dans notre travail que c’est ce témoignage de vertu civique des grands envers les petits qui
permet à ces derniers d’attacher un prix à leur vote, amorçant ainsi leur « subjectivation
politique ». L’apprentissage électoral passe paradoxalement ainsi par ces voies détournées, qui
ont peu d’affinités avec la démocratie, comme le souligne Richard Banégas 330 .
Ce sont en quelque sorte les logiques des sociétés fraîchement démocratiques. Dans une
perspective comparatiste, nous ferions appelle à Michel Offerlé afin de montrer que dans la
France du XIX siècle, ‘‘l’achat des suffrages’’ et la ‘‘vente des votes’’ étaient courants. Les
entrepreneurs politiques mobilisaient les électeurs par le clientélisme et le patronage, qui sont des
vecteurs assez puissants d’entretien des « incitations collectives […] pour réactiver et créer le sentiment du
devoir civique et générer socialement l’accoutumance à l’accomplissement d’un acte individuel 331 ». Et il souligne
de plus que l’offre aux électeurs de « biens privés divisibles ou indivisibles » et de « biens publics
indivisibles » a permis « l’imposition progressive de la reconnaissance de la légitimité de l’utilisation du vote et
l’acquisition d’une maîtrise pratique minimale pour les citoyens mobilisés 332 ».
C’était au début de l’instauration du suffrage universel en France en 1848. Alain Garrigou
mentionne que presque cinquante ans après, au tournant du siècle entre 1898 et 1902, où l’achat
330
Voir R. Banégas, La démocratie à pas de caméléon…, op. cit., not. la troisième partie sur les imaginaires de
la démocratie, pp. 305-477.
331
Voir M. Offerlé, « Mobilisation électorale et invention du citoyen. L’exemple du milieu urbain français à la
fin du XIXe siècle », op. cit., p. 159.
332
Ibid, p. 167.
115