« La démocratie doit chercher sa validité et son ... - fasopo

L’équilibre interrégional
Mais cette tradition, insiste Guy Landry Hazoumé, « ne se rattache à aucune idéologie
démocratique reliée au suffrage universel, au règne de la majorité ou à la représentation proportionnelle. Il s’agit
d’une variante originale de la démocratie, d’une sorte "d’ethnocratie" (si nous pouvons user de ce
néologisme)…Cette idéologie (insidieuse) suppose, comme condition nécessaire et suffisante à un jeu politique loyal,
la présence physique au banc du gouvernement d’un enfant de la région et de l’ethnie…Ce spectacle étroit, souvent
empreint d’ailleurs de bonne foi pose en règle absolue, qu’à tous les niveaux de la société, les individus ne se
préoccupent que des intérêts de leur famille ou de leur région 133 ». Chaque région ou chaque ethnie ne se
projette dans le national qu’à travers l’optique de gouvernants proches d’elles.
Cette tradition béninoise d’équilibre interrégional peut être mise en parallèle avec ce que
Michel Schatzberg appelle la « matrice morale du pouvoir légitime 134 ». Dans le même ordre d’idées,
on remarque que cette logique de terroir se retrouve à tous les paliers de la sphère publique.
Dans les diverses institutions de l’État et dans les eaux de l’administration, un savant dosage
interrégional rythme les positionnements. Souvent, lorsque le Chef de l’État est du Nord, celui
des autres institutions de la République est du Sud, du moins le président de l’Assemblée
nationale, deuxième personnalité de l’Etat. Le général Mathieu Kérékou qui détient tous les
records de longévité à la barre de la Nation béninoise a, avec une fine bienveillance politique,
adhéré et conforté cette tradition. Ainsi en 2003, malgré sa confortable majorité à la
Représentation nationale, il n’a pas voulu positionner un candidat venant des départements
septentrionaux du pays, comme lui, à la présidence de l’Assemblée nationale. C’est Antoine Idji
Kolawolé originaire de Kétou, aux confins de l’Est du Bénin, qui a été adoubé par le
Caméléon 135 . Son successeur à la Marina 136 s’inscrit dans cette logique 137 .
Toutefois, le Bénin ne se singularise pas en Afrique dans cette pratique de « tontine
situationniste 138 », entre les différentes régions du pays. Jean François Bayart 139 en faisant
l’hypothèse de l’assimilation réciproque des élites en Afrique montre que malgré ‘‘l’alliance hégémonique’’
des ressortissants d’une région qui dominent le pouvoir étatique, l’on assiste souvent à un « art
133
G. L. Hazoumé, op. cit.
134
Voir M. Schatzberg, “Power, legitimacy and democratization in Africa”, Africa, 63(4), 1993, pp.445-461.
Il mentionne que la légitimité politique peut être comprise comme « l’ensemble des principes implicites et
culturement admis qui structurent les perceptions de ce qui est un comportement politique acceptable. » p. 450.
135
Surnom du général Kérékou pour son art consommé de la ruse politique.
136
Siège de la présidence béninoise.
137
Quant il s’est agi de choisir le premier des députés, il s’est contraint de soutenir Mathurin Nago du Sud au
détriment de Sacca Lafia, Bariba, venant du Nord comme lui, qui était celui à qui cette fonction revenait
« naturellement ».
138
Voir D. Desjeux, op. cit.
139
Voir J.-F. Bayart, « l’assimilation réciproque des élites : l’hypothèse d’un scénario intermédiaire » in L’Etat
en Afrique…, op. cit., pp. 193-226.
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