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Chapitre 1 :
L’idéologie du fils de terroir
Des premières consultations locales béninoises de l’ère décentralisée, « l’enfant du pays »
est sorti, partout ailleurs, sanctifié par les urnes. Ce triomphe électoral répond à une logique
lancinante et très ancrée dans les imaginaires politiques au Bénin. Elle se résumerait telle : « Nul
n’est électoralement oint ici, s’il n’est fils du terroir 84 ». Cette loi non écrite mais censurant les
diverses consultations électorales est une ressource politique majeure utilisée dans la galaxie
politique béninoise, comme une arme pour vaincre les concurrents. Cette idéologie 85 du fils de
terroir répond à une sorte de « droit à la parole » politique, conférée presque uniquement à
l’enfant du pays.
Dans le contexte béninois, l’idéologie du fils de terroir s’apparente d’une part à la
valorisation de « l’autochtonie 86 » et d’autre part à une variante de la problématique de l’ethnicité
ou de sa pernicieuse forme qui est l’ethnicisme, dans des cas extrêmes 87 . En outre, l’idéologie du
84 Nous faisons ici le pastiche d’une phrase que la légende prête à Platon et qu’il aurait inscrite au fronton de son
Académie à Athènes : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ».
85 Ce mot-valise est très chargé de significations dans le milieu politique comme celui des sciences sociales. Il a
donné lieu à une inflation de travaux. Les références notables sont ceux des marxistes (Karl Marx à Antonio
Gramsci) et des sociologues Raymond Bourdon et Pierre Bourdieu…Ici, nous entendons par idéologie une
conduite sociale qui drape les représentations, dicte les comportements des agents et qui repose sur des
croyances plus ou moins subjectives. « En définitive, ce qui fait la force des idéologies, ce n’est pas leur justesse
mais leur capacité mobilisatrice » comme le démontre P. Braud. Voir P. Braud, op. p. 250.
86 Nous entendons ici par autochtonie la référence à l’antériorité d’installation sur une terre. Un « droit de sol »
en somme excipé par des populations pour réclamer un privilège ou un statut de choix ; tandis que, l’ethnicité est
l’affirmation ou la revendication de la place d’un groupe (dont les membres sont nourris par un sentiment
d’appartenance identitaire) dans la communauté nationale.
87 Le débat sur ces notions est complexe de par la précaution que nécessite leur utilisation. Sur l’ethnicité
notamment, les discussions opposent généralement trois écoles. La première qui est celle de l’approche
primordialiste fait reposer l’ethnicité sur une qualité intrinsèque. L’anthropologue américain Clifford Geertz
parle de « liens primordiaux » comme le sang, le phénotype (race), le langage, la région, la coutume… qui sont
des éléments constitutifs de l’identité. Mais cette identité n’est pas l’une parmi d’autres, elle est la primordiale,
attribuée de par la naissance. Voir C. Geertz, Old societies and new States, Londres, The Free Press Of Glencoe,
1963, p. 109 et C. Geertz,, The Interpretation of cultures, Basic Book, New York, 1973, p. 259 et sv. Les
tenants des deux dernières approches, constructiviste et instrumentaliste relativisent sérieusement la portée de la
première et pensent que l’ethnicité est la résultante d’un travail social et politique qui est réapproprié par des
groupes auxquels on a assigné ces identités. Voir P. Bourdieu, « Les contradictions de l’héritage », in P.
Bourdieu, La misère du monde, Seuil, Paris, 1993, pp. 711-717. Cette réappropriation se joue particulièrement
dans les interactions avec les autres groupes. Voir F. Barth, Ethnic Group and Boundaries. The social
Organization of Culture Difference,traduction partielle in P. Poutignat, J. Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité,
Paris,, Puf, 1995, 203-249. Ces ethnies sont ainsi « montées » et instrumentalisées à des fins déterminées,
notamment par le colon et à son départ par les groupes politiques ou religieux. Voir. J.-L. Amselle et E.
M’Bokolo, Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1999 ; J.P. Chrétien
et G. Prunier, Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala,2003. Mais dans l’approche constructiviste, deux
paradigmes se côtoient. Les « purs » avancent que l’identité est le fruit d’une construction délibérée, alors que
les autres insistent sur la formation et non la construction, car la formation suppose un résultat inconscient, c’està-dire
qu’ « il n’y a pas de stratégies identitaires, rationnellement conduites » Voir J.F. Bayart, L’illusion
identitaire, Paris, Fayard, 1996, p.10.
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