« La démocratie doit chercher sa validité et son ... - fasopo

La démocratisation de la bouffe
Ainsi, dans une logique où les citoyens se rendent compte que tout le monde s’enrichit,
notamment les hommes politiques, sans vergogne, les citoyens trouvent normal de prendre leur
revanche. De profiter aussi du « gâteau national ». Couramment, la ruse du profiteur n’est pas
moralement condamnable. Tout au contraire, elle est magnifiée. Dans les contes africains, le
malin au sens littéral du terme est glorifié et salué 267 . « La malice, l’astuce, la raison du plus fort,
notamment – qui ont toujours constitué des repères moraux importants des sociétés africaines – s’affirment de plus
en plus ouvertement comme des valeurs centrales de ce que l’on pourrait appeler une économie morale de la ruse et de
la débrouille.» notent J-P. Warnier et R. Banégas 268 . Le phénomène « faro-faro » popularisé par la
danse du ‘‘ couper-décaler’’ en est l’illustration parfaite. Cette ruse appelle à profiter des largesses
de l’autre. Dans le Sud du Bénin, on parle d’afù. L’afùduto est le profiteur 269 .
Au niveau des imaginaires, il est moralement normal de profiter et de prendre sa revanche
sur les hommes politiques qui ont « volé ». Et pour les électeurs, c’est la seule occasion d’arracher
leur part. Et l’homme politique tel un big man 270 doit redistribuer ce qu’il a eu. Les « en haut d’en
haut » doivent partager avec les « en bas d’en bas ». Ils démocratisent ainsi la bouffe. Au Cameroun,
on dit « politics na njangui » : traduisez, la politique, c’est une tontine, en référence à un ancien
Premier ministre, Simon Achidu Achu. Il faut donc que chacun ait sa part. Surtout que le citoyen
ordinaire est plus démuni que les cadres et hommes d’affaires qui sont candidats. Assiba,
vendeuse de beignets à Adjaha dans la commune de Grand-Popo, use de la figure allégorique
pour justifier la bouffe électorale :
« Un poulet enfermé dans la cage, privé de picoter dans la cour, a forcement faim. Si tu lui donnes des
grains, il mange toujours. Nous, nous sommes oubliés par les hommes politiques. Nos maris sont au
chômage et nos enfants n’ont pas les moyens d’ouvrir un atelier après leur apprentissage. Si tu viens nous
donner de l’argent, nous allons forcement prendre. Comme cela tout le monde mange. 271 »
267
D. Paulme, La mère dévorante. Essai sur la morphologie des contes africains, Paris, Gallimard, 1976. Pour
aller plus loin et établir la corrélation entre la ruse et la criminalisation de l’Etat, voir J.-F. Bayart, « Le capital
social de l’Etat malfaiteur, ou les ruses de l’intelligence politique », in J.-F. Bayard, S. Ellis, B. Hibou, La
criminalisation de l’Etat en Afrique, Bruxelles, Editions Complexe, 1997, pp. 55-76.
268
Voir J-P. Warnier & R. Banégas, Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir, Politique africaine, n ° 82,
juin 2001, p.8.
269
Voir chapitre 2
270
Voir J.-F. Médard, «Le big man en Afrique. Du politicien entrepreneur», L’Année sociologique, n° 42, 1992,
pp. 167-192.
271 Assiba, entretien, Adjaha (Grand-Popo), 16 février 2007.
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