« La démocratie doit chercher sa validité et son ... - fasopo

cieux, il est de l’ordre de l’inconcevable que l’on fasse un prêt pour assister une autre personne,
en apportant son écot à une assiette familiale. Certainement, faire un crédit pour aider un tiers,
fut-il de la famille aurait été vu comme un acte émasculé de bon sens, mais dans les sociétés
béninoises, en l’occurrence celles du Sud du pays, c’est acquis dans la psychologie collective qu’il
ne faudrait pas déroger à une telle souscription. C’est même moralement valorisant d’y participer.
Une ritualisation en somme de la tradition, certes, constamment réinventée. Ces manières
d’agir ne sont pas figées. Si un socle reste par rapport au principe, des adaptations s’y greffent
puisant dans la modernité pour exister.
La sociabilité, c’est aussi les visites aux cousins, cousines, tantes, oncles, pères, mères,
grands-pères, grands-mères…et autres membres de la communauté élargie. Et il faut savoir
accueillir en toute circonstance, puisque les visites sont impromptues. Au Bénin, c’est presque
impossible de dire à son hôte que l’on n’est pas disponible pour le recevoir. Il faut du tact et une
habileté d’équilibriste pour le faire dans le cas échéant.
En outre, quand vous avez de la visite, ne pas partager son repas est vu comme un
comportement égoïste, contraire aux valeurs familiales d’accueil et d’hospitalité, qui plus est
envers un membre de la famille. Un « frère », en déplacement en ville, vient vers celui qui y
habite et ce dernier est tenu de lui fournir le couvert et le gîte, même s’il habite une petite pièce.
Souvent, il lui cède son lit et va se coucher au salon avec sa femme. Lorqu’un membre de la
communauté est en difficulté, il faut venir à sa rescousse.
Ces règles quotidiennes d’hospitalité dictent les attitudes de sociabilité et il ne viendrait
pas à l’esprit de beaucoup d’y déroger. Elles représentent une mutuelle d’entraide des uns et des
autres. Une assurance ou une tontine, sur laquelle la parentèle peut compter en cas de fortune.
Ainsi, ceux qui ne respectent pas cette économie morale du comportement légitime, en
s’inscrivant dans une manifeste « insociable sociabilité 189 », pour reprendre une expression
d’Emmanuel Kant, se voient, dans la foulée, relégués au ban de la famille. En effet, certains sujets
sont écartelés entre la logique d’un lien social affermi et celle d’un retrait intime du groupe, en
désirant souffler un air de liberté et d’opportunisme sélectif par rapport à leur intérêt. Mais pour
bon nombre, appartenir à la société, en l’occurrence nourrir la sociabilité communautaire est une
forme des « représentations de soi 190 », selon le mot d’Achille Mbembé.
Seulement, avec la forte poussée urbaine et l’installation croissante dans les grandes villes,
les familles très élargies voient leurs membres éparpillés et tous les fils et filles ne se connaissent
189 Kant appelle « insociable sociabilité » cette « inclination à entrer en société, inclination qui est cependant
doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. » Voir E. Kant,
« Idées d’une Histoire universelle du point de vue cosmopolitique » VIII, 20-21 (1784) publié par S. Piobetta, La
philosophie de l’Histoire de Kant, Paris, Denoël, 1947, p. 31.
190 Voir A. Mbembé, op. cit., p. 38.
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