LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
Jacques Berque a magnifiquement évoqué en ouverture d’un de ses ouvrages : la dépossession du<br />
monde.<br />
Je répondis donc favorablement aux propositions des camarades algériens qui me suppliaient de<br />
venir les rejoindre, de participer avec eux à l’édification du nouveau pays. Je rejoignis au plus vite<br />
Alger. On me proposa des responsabilités importantes au sein de l’Agence de presse nationale<br />
l’APS. J’acceptais. Je m’installais au–dessus de la casbah dans un immeuble habité par nombre de<br />
veuves de guerre, quelques familles pauvres. Je disposais du dernier étage. C’était un appartement<br />
modeste mais il me convenait parfaitement. De mon balcon je pouvais découvrir d’un regard<br />
circulaire le port embrumé par les grandes chaleurs. <strong>Les</strong> gens du quartier était intimidés car une<br />
voiture de service battant pavillon national venait me chercher pour me conduire à mon lieu de<br />
travail.<br />
Je travaillais avec ardeur, passion. C’était la première fois qu’il m’était donner d’exercer ce<br />
métier de journaliste que j’aimais dans des conditions pleinement satisfaisantes. Il fallait former de<br />
jeunes reporters, de jeunes journalistes capables de traiter de l’Économie, de la politique<br />
internationale, de la Culture.<br />
L’agence était située Boulevard de la République, face à la mer. Je passais là la majeure partie de<br />
mes journées, travaillant souvent très tard. J’étais très ambitieux. Je voulais que l’Agence puisse le<br />
plus rapidement possible se hisser au niveau des grandes agences du Maghreb et du Moyen Orient.<br />
Je devins collaborateur de l’hebdomadaire Révolution africaine, où je fis la connaissance de<br />
Gérard Chaliand et de sa femme Juliette Minces. C’était Mohammed Harbi, une des intelligences du<br />
nouveau pouvoir, qui dirigeait cet hebdomadaire. Par ailleurs, je réalisais des émissions de radio<br />
concernant la culture algérienne que le peuple ignorait, coupé qu’il avait été de ses racines par le<br />
colonisateur.<br />
Je retrouvais aussi Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la Peur, joues creuses, mèche en<br />
bataille, toujours aussi virulent et fraternel. D’autres encore qui, comme moi, avaient décidé de<br />
quitter l’Europe pour se mettre au service de l’Algérie démocratique et socialiste.<br />
Je voyageais à travers le pays dès que j’avais quelques heures de libres. Je découvris<br />
Constantine, le ravin de la femme sauvage, les merveilleuses femmes kabyles, les oasis du sud,<br />
Oran tournant le dos à la mer, les mechtas brûlées. Je rencontrais des femmes et des hommes qui<br />
gardaient encore dans le regard des traces de l’horreur vécue, des enfants demi–nus, pauvres, qui,<br />
comme tous les enfants du monde, qu’ils soient blancs ou noirs, rouges ou jaunes, se contentent<br />
d’une vieille boîte de conserve pour s’inventer tout un monde. Je retrouvais Kateb Yacine, le<br />
bouleversant écrivain de Nedjma et du Polygone étoile. C’est en souvenir de lui que quelques<br />
années plus tard j’allais prénommer ma fille Nedjma, ce qui veut dire « Étoile ».<br />
J’étais la « voix » officielle de l’Algérie. Chaque jour je rédigeais plusieurs éditoriaux que la<br />
radio citait et que le lendemain la presse publiait. J’étais proche de l’aile gauche du Parti et des<br />
syndicats dont les membres, pour la grande majorité, avaient vécu la lutte clandestine en France<br />
puis dans les maquis. J’essayais de comprendre quelles forces s’opposaient plus ou moins<br />
ouvertement, pour la conquête du pouvoir réel. J’étais séduit par Ben Bella. Il était un mélange de<br />
bonhomie, d’autoritarisme, de démagogie, mais il irradiait de lui une certaine lumière émouvante.<br />
Le chef d’État n’avait pas étouffé le petit footballeur, le jeune militant nationaliste enthousiaste,<br />
actif et décidé. Il possédait à un degré incomparable l’art de se mettre la rue « dans la poche ». Ses<br />
interventions publiques suscitaient les youyous des femmes, les applaudissements frénétiques des<br />
hommes.<br />
Si Ahmed devint comme un leader charismatique. Boumedienne m’inquiétait autrement. Cet<br />
homme secret, grâce à qui Si Ahmed avait pu se hisser au premier fauteuil, avait la haute main sur<br />
l’armée. Cet homme qui ne s’était pas frotté à l’Europe m’échappait. Je le craignais sourdement.<br />
L’indépendance avait multiplié les clans. Des « chefs de guerre », au nom de leurs états de service,<br />
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