LIBERTÉ Couleur D’HOMME L’ILLUMINATION SURRÉALISTE - 62 -
LA REVOLTE S’APPELLE ESCLARMONDE LIBERTÉ Couleur D’HOMME C’est grâce à Serge, Jacques, Georges, Michel D. que je découvris très tôt, dans ma maison d’Aulnay–sous–bois, le surréalisme. J’en étais encore à écrire des poèmes qui n’étaient que des décalques des poèmes de Lamartine, de Musset, de Théophile Gautier, de Victor Hugo. J’écrivais chaque jour. J’étais persuadé qu’un seul jour sans un poème était un jour mort. Je barbouillais des cahiers d’écolier. J’étalais en longues strophes mon cœur meurtri. Je hurlais à l’amour et j’ignorais tout ou presque de l’amour. Je me croyais le plus malheureux de la planète. J’empilais des lieux– communs. Mon père furieux faisait la chasse à mes carnets qu’il déchirait rageusement après m’avoir traité de sale fainéant, de bon à rien. Je serrais les dents. Puis je recommençais. Quand j’eus intégré le « groupe » ce fut comme une marche forcée. La bibliothèque de Serge m’ouvrait des horizons insoupçonnés. Je me jetais voracement sur les livres, lisant pêle–mêle sans trop bien toujours comprendre, Freud, Nietzsche, Dostoïevski, Malraux, Bernanos, Michaux, Marx, Bakounine, Faulkner, Dos Passos, Rimbaud, Zola, Jules Vallès, Lao-Tseu, Lanza Del Vasto, Gurdjieff… Inévitablement, je ne pouvais pas ne pas rencontrer sur ma route chaotique, le surréalisme. Ce furent d’abord les deux Manifestes d’André Breton. Une lecture éblouissante qui me laissa sur le flanc. Quelqu’un disait tout haut ce que je pensais obscurément tout bas. Quelqu’un avait le pouvoir magique des mots, en sa possession la clef des aubes. Ce tumulte qui gémissait, flambait en moi, quelqu’un l’ordonnait, quelqu’un montrait du doigt la bête, quelqu’un désignait l’issue. Je sortis bouleversé de cette lecture. Bouleversé est un mot insuffisant d’ailleurs. Il y eut comme un tremblement de terre, comme un tremblement de ciel dans mes veines. Une métamorphose radicale s’opéra. Du jour au lendemain, Rimbaud, Lautréamont, Jacques Vaché remplacèrent dans mon panthéon intime Lamartine et Musset. J’étais définitivement marqué du signe du « fils du soleil ». Je commençais à écrire des poèmes sous l’influence de ces rencontres fabuleuses. Des poèmes dont le meilleur (?) devait s’intégrer à diverses plaquettes : Couleur végétale, Nomades du soleil, Pétales du Chant. J’avais trouvé ma vocation : changer la vie et transformer le monde. Dans mon être, dans mon sang, mes muscles, la Poésie et la Révolution ne faisaient plus qu’une seule et même chose. La poésie devenait un risque mortel. J’allais bientôt découvrir, grâce à Michel Leiris, qu’un authentique poète ne pouvait écrire qu’à « l’ombre de la corne du taureau ». L’écriture était une corrida. Je me fis taureau et matador. <strong>Les</strong> revendications énoncées par André Breton étaient les miennes. <strong>Les</strong> désaccords que je ressentais ne pesaient pas à côté de l’accord profond, fondamental. Avec les surréalistes je partageais la haine de la raison cartésienne, avec eux je haïssais l’ordre glacé de Versailles. Avec eux je frémissais aux fatrasies du moyen–âge, aux « Nursery Rhymes » anglaises, aux comptines débridées. Grâce à eux je compris à quel point le langage usuel faisait partie de l’arsenal oppressif du pouvoir. Libérer la langue de sa gangue de rationalité idiote c’était déjà commencer la lutte de libération. Couché sur les feuillets de braise de Fata Morgana, de Nadja, du Revolver à cheveux blanc, des Pas perdus, d’Arcane 17 d’André Breton, du Passager du Transatlantique, de Feu - 63 -