LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
Elle était intelligence et compréhension. Elle n’accusait pas mes excès de boisson. Une angoisse,<br />
plus forte que l’amour–passion que je lui portais, me conduisait souvent à boire, au–delà des limites<br />
acceptables. C’était atroce. Je devenais capable de cruauté. Je mentais effrontément. Je travestissais<br />
les faits. J’injuriais Josée. Je la traitais de tous les noms. Je lui hurlais qu’elle n’était qu’une vieille<br />
femme et qu’il fallait bien que je sois idiot et dégénéré pour m’occuper d’elle, l’aimer. Ses yeux<br />
s’emplissaient de larmes. Mais elle ne faisait aucun reproche. Après chacun de ces éclats sans<br />
gloire, j’étais malade de honte. Je la suppliais de me pardonner. J’évoquais honteusement et trop<br />
facilement une vague hérédité qui m’avait fait de la sorte. Je me traînais à ses genoux. J’enfonçais<br />
mon visage brûlant dans l’étoffe de ses genoux. Elle caressait mes cheveux, sans la moindre haine,<br />
le moindre courroux, apparemment. Je lui en voulus même de cette sorte d’acceptation. J’aurais<br />
parfois préféré qu’elle me frappât, me crachât à la face, me congédiât. Sans doute son amour était<br />
tellement vaste, tellement définitif qu’elle ne pouvait avoir d’autre attitude.<br />
Le lendemain de notre arrivée à Fécamp, nous allâmes cogner à la porte d’une amie peintre qui<br />
vivait dans une vieille ferme aménagée, à l’extrémité d’un hameau qui ne comptait que quelques<br />
feux. Nous vécûmes là quelques heures éblouissantes. L’amie nous montra sa dernière série de<br />
toiles : des souches douloureuses, fendues, des troncs d’arbres tordus par une souffrance<br />
innommable. <strong>Les</strong> couleurs étaient d’un vert mortel. Nous fûmes frappés par l’intensité de ces toiles<br />
qui créaient chez le « regardeur » un indéniable malaise. L’amie, une jeune femme très mince, aux<br />
yeux glauques, au visage de biche maigre brisa d’un grand éclat de rire le malaise que nous<br />
éprouvions : « Si on allait dîner ? ». Nous passâmes dans la grande salle à manger. Le feu nourri de<br />
branches sèches crépitait ardemment. À travers le carreau de la vitre, nous pouvions voir quelques<br />
mouettes continuant à inventer d’insolites chorégraphies sous les nuages incendiés par le soleil<br />
couchant. Le lendemain, tôt levés, nous rentrâmes à Paris, par le chemin des écoliers.<br />
Josée avait un ami. Un ami vrai. Le type d’ami qui se meurt de passion pour une femme mais qui<br />
s’interdit de lui avouer cette passion. Ce type d’ami qui emmène une femme au théâtre, au cinéma,<br />
au bois de Boulogne ou de Vincennes, qui n’oublie jamais d’offrir une rosé, qui témoigne d’une<br />
infinie délicatesse et d’une incommensurable prévenance dans toutes les situations de la vie. L’ami<br />
de Josée s’appelait Marcel. Ce n’était pas en soi un prénom chargé de poésie. Mais Marcel valait<br />
mieux que son prénom. Cet homme assez corpulent, mais grand de taille, aux cheveux coupés en<br />
brosse, portant des lunettes occupait les fonctions de chef de service dans une administration. Il<br />
téléphonait chaque jour à Josée lui proposant un dîner, une sortie pour voir une pièce inédite, un<br />
film américain. Josée l’aimait beaucoup. Mais elle ne l’aimait pas comme cet homme aurait désiré<br />
être aimé. Trop timide, trop amoureux de Josée, Marcel n’avait jamais depuis plus de dix ans<br />
cherché à créer une situation « scabreuse ».<br />
Je m’étais installé en toute simplicité chez Josée. Mes bagages étaient plutôt légers, absolument<br />
pas encombrants, quelques livres et quelques menus objets. Le reste, je l’avais déposé chez un<br />
vague copain. Josée qui était honnête fit savoir très vite à Marcel la situation nouvelle pour elle.<br />
Marcel encaissa le coup. Il accepta même une invitation pour dîner à trois. Il arriva avec l’immuable<br />
rosé rouge. Il fut parfait de courtoisie. Il fît comme si rien n’avait changé dans le décor. Quelle<br />
inexplicable cruauté me poussa à faire, devant lui, des gestes non équivoques, à l’intention de Josée,<br />
quand je me déplaçais pour aller chercher les plats à la cuisine. Il dut en souffrir atrocement. J’étais<br />
jeune, fier d’avoir pour amante une femme si séduisante, si riche de virtualités, si intelligente et<br />
fine. Je n’ignorais pas qu’en agissant de la sorte je froissais quelque peu Josée qui, d’ailleurs, m’en<br />
fît la remarque, calmement, mais d’une voix d’exigence. Je lui fermais la bouche d’un long baiser.<br />
Je me croyais le plus fort, le plus malin. Marcel nous souhaita tout le bonheur possible. Ses visites<br />
et ses coups de téléphone à Josée s’espacèrent. Lorsqu’il téléphonait et que c’était moi qui répondait<br />
parce que Josée était absente, il bafouillait, s’excusait et raccrochait rapidement en me priant de<br />
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