LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
déserts, étranges, comme abandonnés, qu’elle semblait parfaitement connaître aussi. Plusieurs fois<br />
l’étreinte érotique mêla nos chairs, nos souffles.<br />
À l’aube j’étais fourbu. Un banc de pierre d’une petite place où résonnaient les pas des premières<br />
religieuses se rendant à l’office m’accueillit. La jeune femme dont j’ignorais toujours tout se tenait<br />
debout devant moi. Soudainement, elle se pencha vers moi, m’embrassa longuement et murmura<br />
« Adieu ». Quand je pus réagir contre le sommeil qui commençait à me paralyser, elle avait déjà<br />
disparu. Je courais en tous sens, scrutant les alentours. J’écoutais. <strong>Les</strong> seuls pas qui résonnaient<br />
étaient ceux des religieuses à cornettes qui, par groupe de cinq ou six, se dirigeaient vers les Églises.<br />
Je regagnais la maison de mon ami. Il ne me questionna pas. J’inventais n’importe quoi. Je me<br />
couchai et m’endormis d’un profond sommeil. Le soir même, Jacques et moi regagnâmes Paris.<br />
Emporté par le tohu-bohu quotidien je n’arrivais pas à oublier mon inconnue. Avec Jacques à qui<br />
j’avais tout raconté, j’échafaudais des hypothèses.<br />
Deux semaines plus tard le mystère devait encore s’épaissir. Je reçus un courrier de mon ami<br />
Paul. À la lettre était jointe une coupure récente de journal. L’article évoquait un fait–divers :<br />
quelques jours plut tôt, la police avait repêché près du vieux port le cadavre d’une jeune femme<br />
dont le corps portait des traces de torture. C’était à n’y pas croire. La photographie qui<br />
accompagnait l’article représentait un visage qui ressemblait exactement au visage que j’avais<br />
étreint entre mes paumes, durant cette longue nuit de vertige et d’incendie. Il ressortait de l’article<br />
que la jeune femme était de toute apparence une prostituée qui avait dû être « punie » pour quelque<br />
obscur motif. Dans sa lettre Paul exprimait aussi son étonnement. Je lui répondis aussitôt que je<br />
serai à Nantes le prochain week-end afin de tenter d’élucider le mystère. Dans un télégramme, Paul<br />
me fit savoir qu’il valait mieux que je patiente deux semaines, qu’il était contraint de se rendre à<br />
l’étranger avec sa femme et ses enfants. Quelques jours plus tard Le Monde m’apprenait que l’avion<br />
à bord duquel mes <strong>amis</strong> avaient pris place avait sombré corps et biens dans l’Océan Atlantique. Il ne<br />
restait aucun survivant. Longtemps après toujours obsédé par cette étrange histoire, je me rendis à<br />
Nantes. Je fis une « enquête », j’interrogeais des patrons de cafés, des marchands de journaux, des<br />
vieilles gens. Je ne pus trouver la moindre piste. La police avait rangé le dossier. Il était dit que<br />
Nadja de Nantes garderait son secret, vivante et morte, fantasme ou réalité.<br />
Ma « militance » libertaire m’éloignait souvent des réunions quotidiennes du groupe surréaliste.<br />
C’est pourquoi je n’ai que peu collaboré aux activités du groupe, tout en étant présent, au bord. De<br />
plus, je vivais un conflit profond. Tout en étant en accord avec les objectifs du Surréalisme, tout en<br />
partageant nombre de conceptions de ses membres, la poésie que je tentais d’écrire échappait au<br />
Surréalisme. Je voulais non seulement explorer le royaume des images, les zones obscures de l’Être,<br />
mais je voulais dire encore la réalité quotidienne, les luttes, la vie immédiate ; chaude,<br />
contradictoire. Je me nourrissais déjà beaucoup de poésie hispano américaine, je continuais à subir<br />
la fascination des poètes expressionnistes. Je n’arrivais pas à suivre Breton dans certains<br />
développements « mystiques ». J’étais passablement déchiré.<br />
Mais j’aimais retrouver Breton et les autres à Saint–Cirq–Lapopie, dans ce vieux village<br />
suspendu, comme soudain pétrifié dans son inévitable chute, au–dessus du Lot. Là, loin de Paris,<br />
l’amitié se réchauffait au doux soleil. Des « jeux » multiples nous rassemblaient autour d’une table.<br />
<strong>Les</strong> « cadavres exquis » ouvraient les portes de corne et d’ivoire. La vielle maison de mariniers que<br />
Breton avait rachetée était accueillante. Nous nous promenions en quête de cailloux étranges que nous<br />
ramassions le long des rives de la rivière.<br />
Est–ce à Saint–Cirq que Jacques et moi, dans les premiers mois de la Guerre d’Algérie,<br />
rédigeâmes un « tract » violent dans lequel nous célébrions l’acte d’un jeune appelé qui pour ne pas<br />
aller combattre, pour ne pas quitter celle qu’il aimait, avait demandé à celle–ci de lui trancher d’un<br />
coup de hache, deux doigts de la main droite ? Le jeune homme fut condamné. Devenu incapable de<br />
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