LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
se taillaient des royaumes. <strong>Les</strong> marxistes en appelaient à la lutte des classes. <strong>Les</strong> « intégristes »<br />
musulmans intriguaient dans l’ombre du Palais d’été. Ma tâche était délicate. Chacun de mes<br />
éditoriaux suscitait l’ire de tel ou tel clan ou groupe. Quand je plaisais aux syndicalistes je<br />
déplaisais aux responsables du Parti, et vice-versa.<br />
J’écrivais à tâtons, le pathos lyrique, informel, remplaçait souvent la directive claire. J’exaltais<br />
toutes les luttes mondiales qui me semblaient aller dans le sens du combat du peuple algérien. Je<br />
dénonçais violemment les régimes racistes, bourgeois, l’impérialisme américain, j’évoquais<br />
quotidiennement les problèmes de la réforme agraire, du socialisme, de la libération des femmes,<br />
question qui n’était pas mince dans un pays d’Islam. À mots couverts je mettais en garde contre un<br />
appareil d’État en train de se consolider qui pouvait écraser le peuple, le déposséder de sa lutte.<br />
J’étais témoin des « magouilles » des arrivistes que toute révolution transporte inévitablement dans<br />
ses bagages, des ralliés de la dernière heure, des notables transformés en guérilleros, des affamés de<br />
puissance, tandis que le peuple, au jour le jour, cherchait son pain quotidien. Ben Bella ne maîtrisait<br />
pas cette toile d’araignée. Il louvoyait. Il avait pris visiblement le goût de sa fonction de magistrat<br />
suprême. Je ne niais pas son « honnêteté », sa sincérité de lutteur, mais cette honnêteté et cette<br />
sincérité avaient bien du mal à faire bon ménage avec sa froide volonté de garder, quoi qu’il en<br />
coûte, le pouvoir.<br />
Une administration plus ou moins occidentalisée s’emparait des postes dirigeants. Mes propres<br />
dactylographes avaient l’oreille vissée à la radio française. Elles écoutaient Johnny Hallyday dont<br />
elles connaissaient mieux les chansons que les ouvrages d’Ibn Khaldoun. Je devais les menacer de<br />
représailles. C’étaient en général des filles de la « bureaucratie » qui avait collaboré avec le<br />
colonialisme.<br />
<strong>Les</strong> grandes puissances se disputaient l’Algérie de Ben Bella. Chaque matin – c’était un rituel –<br />
deux conseillers de l’ambassade chinoise – ils arrivaient toujours les premiers – m’apportaient les<br />
derniers discours fleuves du Camarade Mao. Un quart d’heure plus tard se présentaient les deux<br />
conseillers de l’ambassade soviétique qui m’apportaient les derniers discours du Camarade<br />
Khrouchtchev. Ils avaient des raideurs de militaires, de flics de services spéciaux.<br />
Le « réalisme » et le « rêve révolutionnaire » s’affrontaient une fois de plus de haut en bas de la<br />
structure. <strong>Les</strong> uns souhaitaient qu’on accélérât l’allure, d’autres au contraire recommandaient de<br />
ralentir. Ben Bella s’imaginait sans doute qu’il était le plus fort de tous, le plus malin. Peu à peu les<br />
bases d’une économie mixte étaient jetées. <strong>Les</strong> combattants avaient rangé leurs armes. La<br />
production était devenu l’objectif de lutte. Et comme toujours la Production créait des « couches<br />
favorisées » d’administrateurs qui voyageaient avec des attachés–cases, habitaient de somptueux<br />
appartements, disposaient de moyens qui étaient interdits au humbles qui s’échinaient sur le port,<br />
dans les usines, les champs, les raffineries de pétrole.<br />
Il y eut la guerre éclair avec le Maroc. Ben Bella avait eu recours au vieux stratagème qui<br />
consiste à crier qu’il y a danger aux frontières quand les problèmes intérieurs atteignent une<br />
dangereuse intensité. S’il n’y avait eu, de part et d’autre, quelques morts, cette guerre aurait pu faire<br />
sourire. <strong>Les</strong> deux camps s’affrontaient en terrain découvert. <strong>Les</strong> officiers n’avaient pas pris le temps<br />
de troquer leurs costumes de ville contre l’uniforme réglementaire. Cravatés, en chemises blanches,<br />
jumelles collées aux yeux, ils donnaient nonchalamment leurs ordres. Il y eut quelques tirs<br />
d’artillerie. On voyait de loin arriver les obus. <strong>Les</strong> hommes se couchaient dans le sable, après avoir<br />
pris quelque distance : des nuages de poussière ! Chacun se redressait en riant. Il y eut la fièvre<br />
kabyle. L’Algérie, elle non plus, n’était pas épargnée par le problème des minorités. L’Algérie arabe<br />
s’imposait aux berbères.<br />
Après sa rencontre avec Castro Ben Bella se voulut le « lider maximo » du monde arabe. Il mena<br />
tambour battant une diplomatie caracolante qui devait l’imposer à la tête de ce vaste ensemble<br />
convoité par les grandes puissances.<br />
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