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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

arrière–cour. Des livres, des brochures, des journaux encombraient plusieurs rayonnages cloués le<br />

long des murs.<br />

Paco avait, par–delà sa compagne, sa fille, la volonté de venger ses parents et son peuple, le<br />

communisme libertaire, une autre passion : la poésie. Il écrivait d’étranges petites pièces de théâtre<br />

qui se passaient curieusement presque toujours dans les tombes des cimetières. <strong>Les</strong> squelettes<br />

vivaient dans ces lieux incongrus des aventures semblables à celles que vivaient ceux qui respiraient<br />

au–dessus d’eux, ils connaissaient les transes de l’amour et de la jalousie, les affres de la mort, les<br />

sueurs de l’angoisse, les rages des rebelles, les violences de l’oppression, les songes de la libération<br />

possible, espérée. Le verbe de Paco avait la puissance d’un soc de charrue éventrant les terres<br />

incandescentes de sa région natale – il était natif du Levant. Il ressemblait assez au poète Miguel<br />

Hernandez qui mourut épuisé dans les prisons d’Alicante en répétant le nom de sa bien–aimée :<br />

« Josefina, Josefina… ». Paco avait la vigueur d’un figuier ardent. Il se déplaçait avec cette légèreté<br />

et cette maîtrise des mouvements de qui sait qu’à tout instant il peut prendre une balle dans la peau.<br />

Il savait l’économie des gestes. Je ne sais pourquoi mais il réveillait en moi l’image d’un autre<br />

meneur anarchiste qui avait, dans les années 20, fait trembler les bandes fascisantes de l’époque :<br />

Noy del Sucre.<br />

Avec Paco, je plongeais dans la réalité espagnole. Par–delà l’apparente léthargie, j’écoutais les<br />

voix de ceux qui résistaient, de ceux qui n’avaient pas abdiqué, de ceux qui, dans un dérisoire défi,<br />

affrontaient les forces de la répression, un appareil gouvernemental sauvage, de ceux qui prenaient<br />

les risques d’être arrêtés vivants, de subir les plus sadiques tortures.<br />

J’aidais Paco à rédiger, imprimer des tracts, des brochures. J’étais toute attention quand il<br />

recevait des messages et commentait la situation du moment.<br />

Un jour, je lui avouais que je désirais agir avec lui, que je voulais exposer ma poitrine pour le<br />

salut de l’Espagne. Il eut un grand éclat de rire, me jeta un œil tendre. Melba aussi souriait. J’étais<br />

vexé. J’avais la ferme sensation que Paco ne me croyait pas capable de remplir une tâche<br />

révolutionnaire. Romantique, je me promettais à moi–même d’être capable de mourir si la situation<br />

l’exigeait, de me taire même sous la pire torture, de ne pas dénoncer mes compagnons.<br />

Paco remplit mon verre. Il me donna une grande tape dans le dos et suggéra qu’il était temps<br />

d’aller dormir car les hommes qui veulent devenir libres doivent savoir se lever au premier chant du<br />

coq.<br />

Dans mon coin je rongeais silencieusement mon frein. Je continuais mes activités quotidiennes.<br />

À cette époque pour vivre je demandais à ma plume toutes sortes de sacrifices. J’écrivais des<br />

âneries pour des hebdomadaires féminins, je travaillais un peu pour des agences de publicité, je<br />

publiais des articles dans Combat. Il y avait un sujet que j’étais en mesure alors de développer<br />

amplement : Comment crever de sa plume. Je raconte tout cela dans un autre livre en chantier qui<br />

s’appellera, ou ne s’appellera pas, <strong>Les</strong> doigts pleins d’encre.<br />

Depuis quelques temps je vivais avec une jeune étudiante de l’École des Beaux–Arts :<br />

Christiane. Nous habitions dans un misérable atelier de la rue de la Glacière, située juste au–dessus<br />

de la rivière souterraine, la Bièvre. <strong>Les</strong> autres ateliers étaient pour la plupart occupés par des<br />

artistes. Nous formions une communauté fraternelle, nous entraidant les uns les autres. Celui ou<br />

celle qui avait gagné quelque somme d’argent en prêtait une partie à celui ou celle d’entre nous qui,<br />

à ce moment–là, était particulièrement démuni. Christiane était la fille d’un couple d’industriel du<br />

nord de la France, très conservateurs à tous points de vue. Bien qu’ils n’éprouvassent que haine à<br />

mon égard, ils envoyaient régulièrement à Christiane un chèque ou un mandat. Ils ne désespéraient<br />

pas de la séparer de moi. À leurs yeux, et compte tenu de leur ignorance crasse, je n’étais qu’un<br />

voyou de communiste.<br />

J’aimais Christiane, je m’accrochais. Elle semblait être heureuse près de moi. Elle semblait<br />

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