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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Je tombais dans un étrange univers : l’homme, alcoolique invétéré, était un polonais d’origine<br />

qui avait combattu en Indochine. Sa femme était une paysanne native de la région, une femme<br />

sèche, levée dès l’aube. Ils avaient un garçon de sept à huit ans, malin comme un singe, déluré, qui<br />

recevait plus de gifles que de caresses.<br />

Dès le premier soir de notre séjour, je fus inquiet à cause du comportement de l’homme.<br />

L’ouvrier agricole qui vivait dans la ferme me réconforta. Je compris très vite qu’il avait combattu<br />

en Indochine avec son patron, qu’il était amoureux de la femme de son ami, et qu’il restait là pour<br />

la protéger au cas où… Quelques jours plus tard, le téléphone sonna et une voix demanda<br />

« Madame <strong>Laude</strong> ». Le temps que je sortisse quérir mon épouse, la « voix » avait mis au courant la<br />

paysanne. De telle sorte que rentrant dans la cuisine, celle–ci se tourna vers B. et sans précautions<br />

oratoires lui jeta au visage « Votre mère s’est suicidée ». B. s’empara du téléphone. La « voix » lui<br />

donna les détails de l’événement. B. décida de partir aussitôt pour Limoges. Je restais à la ferme<br />

avec Nedjma.<br />

Elle revint trois jours après, muette, accablée. Quelques jours plus tard un autre « drame » qui<br />

aurait pu être sanglant devait survenir. À cette époque les Cévennes étaient habitées par de<br />

nombreuses « communautés » de jeunes gens. Le patron de la ferme décida de faire un grand<br />

méchoui et d’inviter plusieurs de ces communautés. Je lui proposai mon aide. Nous nous levâmes<br />

très tôt et fîmes en sorte que le méchoui fût à point à l’heure dite. <strong>Les</strong> « invités » arrivèrent : des<br />

garçons barbus et sales, des filles sales et fardées à l’indienne. Tous muets comme des tombes, l’œil<br />

vide, la lippe agressive. Ils ne restèrent pas une heure, raflèrent tout ce qu’ils purent ingurgiter, boire<br />

et au nom de quelque fallacieux prétexte, prirent la fuite, impatients de retrouver leurs « joints ».<br />

Le patron de la ferme en fut mortifié. Le soir, les autres personnes hébergées dans la ferme<br />

décidèrent d’aller à une fête votive dans un village voisin. Ne restèrent donc que ma femme, ma<br />

fille, les gens de la ferme et moi. Je dormais sous une tente dans une prairie au–dessus de la maison.<br />

Je me retirais de bonne heure. Je dormais déjà depuis plus d’une heure, quand soudain un<br />

rugissement m’arracha au sommeil : « Sors de là ! ». Je tâtonnai en quête de la lampe électrique. Ne<br />

la trouvant pas, je rampai jusqu’au dehors. À quelques mètres de moi, titubant, se tenait le patron de<br />

la ferme, un fusil de chasse tendu vers ma poitrine. Il était ivre. Il prononçait des mots<br />

inintelligibles. Enfin je réussis à comprendre qu’une fille d’une communauté lui avait dit que<br />

j’avais, quelques jours auparavant, traité son fils de « sale petit polak ».<br />

Je réalisais rapidement qu’il n’était pas besoin de s’échiner pour faire comprendre au bonhomme<br />

l’inanité d’une telle accusation. Il était ivre jusqu’aux paupières, armé et dangereux.<br />

Surmontant ma peur, je m’approchais lentement de lui, tout en parlant calmement. À tout instant<br />

l’idée qu’il puisse appuyer sur la gâchette m’effrayait. Quand je fus à un saut d’homme de lui je<br />

m’immobilisai. Je bandais mes muscles, je mesurais du regard la distance et brusquement, comme<br />

l’éclair je bondis. Mes doigts se refermèrent sur le canon du fusil de chasse que je tirais<br />

violemment. Il lâcha prise. Tenant toujours le fusil par le canon, je le brandis au–dessus de ma tête<br />

et l’abattis sur la tête de l’homme qui se mit à pisser le sang, tournoya dans l’air et s’effondra. Je<br />

jetai de toutes mes forces le fusil dans les broussailles et dévalai vers la ferme dont les habitants<br />

avaient été réveillés par les hurlements de l’individu. J’intimai l’ordre à mon épouse de ramasser<br />

nos affaires. Nous rejoignîmes Saint–Hippolyte–du–fort au plus vite. Là était un ami qui nous<br />

hébergea. Le lendemain, nous quittions la région. Quelques temps plus tard, les frimas étant venus,<br />

et les « communautés » ayant rallié Paris, je tombai par hasard sur la jeune personne qui avait été la<br />

cause de tout ce remue–ménage. Une solide double paire de claques conclut l’incident.<br />

Mais revenons à Tanger, quelques années plus tôt. J’avais fait la connaissance à Paris d’un jeune<br />

poète marocain Abdellatif Laâbi. Nous l’appelions tous Latif. Professeur, marié à une jeune<br />

française, père de plusieurs enfants. Latif avait créé quelques mois auparavant une revue qui allait<br />

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