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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Quand j’eus acquis la certitude que « quelque chose » allait arriver, et que Ben Bella ne serait pas<br />

en mesure de faire face à ce quelque chose, et que, du même coup, tous ceux qui étaient considérés<br />

comme des alliés du président, tomberaient avec les plus gros risques, je décidai de rentrer en<br />

France. Je fis part de ma décision au Président. Il balaya d’un large revers de la main mes<br />

objections.<br />

Je maintins toutefois ma décision. Par un beau matin ensoleillé, je quittais le sol algérien. J’avais<br />

promis de revenir au cas où j’estimerais que ma présence pourrait être utile, au cas où mes<br />

prophéties se révéleraient fausses. J’étais arrivé dans ce pays avec une pauvre valise. Je repartais<br />

avec une pauvre valise. Juste avec l’argent de mon dernier salaire « révolutionnaire ». De quoi<br />

survivre quelques semaines en Europe. J’étais malheureux de devoir retrouver le vieux continent.<br />

J’étais décidé à n’y point rester longtemps. Je désirais profondément repartir. Une possibilité m’était<br />

donnée de rejoindre Amilcar Cabral et les rangs du PAIGC qui combattaient en « Guinée<br />

portugaise » pour l’indépendance et là le socialisme. De tous les leaders de l’Afrique noire – et<br />

même du « tiers monde » – Cabral m’apparaissait comme un des plus authentiques, des plus<br />

responsables, des plus fraternels. Je choisis donc d’attendre à Paris les événements que je<br />

pressentais, et de réagir selon le cours de ces événements.<br />

Mon attente fut de courte durée. Un matin que je sortais de la bouche de métro « Trocadéro », le<br />

titre énorme de France Soir qui était affiché au kiosque me faisant face, accrocha immédiatement<br />

mon regard. Ayant des yeux faibles, je ne pus aussitôt déchiffrer ce titre. Mû par je ne sais quel<br />

pressentiment – ce n’était quand même pas la guerre mondiale atomique qui commençait, les gens<br />

autour de moi étaient trop calmes – je grimpais au pas de course les dernières marches.<br />

« Ben Bella destitué cette nuit ». J’achetai fébrilement un exemplaire du journal. Je m’appuyai<br />

contre la grille du métro et dévorai l’article. Profitant du tournage du film de Pontecorvo,<br />

Boumedienne avait fait faire mouvement à ses chars qui s’étaient placés aux lieux stratégiques. Ben<br />

Bella et les « benbellistes » avaient été arrêtés sans coup férir. Seuls, un ou deux ministres, quelques<br />

militants qui avaient eu la mauvaise idée de résister avaient été blessés. On ne signalait aucune<br />

manifestation populaire. Le pire pour lui, Ben Bella était tombé dans une relative indifférence. Le<br />

peuple, ce peuple qu’on met à toutes les sauces, avait bien d’autres soucis. Il avait appris que quel<br />

que soit le chef, le peuple paie, le peuple trime, le peuple s’épuise, le peuple meurt. J’avais donc été<br />

bon prophète. J’eus une pensée émue pour Si Ahmed, malgré tout. Et je songeais aux camarades qui<br />

se retrouvaient et allaient se retrouver sur la paille noire des geôles. L’Ère Boumedienne<br />

commençait, elle s’est achevée il y a peu. Sous son règne l’Algérie allait quitter les rivages du<br />

folklore pour s’engager sur les rudes voies du développement. Mais « le socialisme algérien »<br />

demeure toujours une idée neuve dans le Maghreb.<br />

Je ne partis jamais rejoindre Amilcar Cabral, les guérilleros guinéens. Peut–être à cause de mon<br />

fils, preuve vivante que si dieu existait c’était un dieu qui n’hésitait pas à frapper ses créatures<br />

démunies. Un dieu d’injustice. C’est peut–être aussi parce que quelque chose de grave s’était fêlé<br />

en moi. Le jeune homme romantique, fou de certitudes, était mort. Il pourrissait quelque part dans la<br />

pouillerie de Quito, entre les rats de Buenos–Aires, dans les eaux nauséabondes et sales des klongs<br />

thaïlandais, sous les cadavres du Vietnam, dans les prisons obscures de Fidel.<br />

Je me retrouvais mains nues, désemparé. Le seul outil que je savais manier était la plume. Je<br />

recommençais à collaborer à divers journaux, sans distinction de qualité, je rédigeais des textes<br />

publicitaires, j’étais un « pisse copie ». Entre deux poèmes, j’abattais en une vingtaine de pages, un<br />

méchant polar bourré de violence, de sexe, d’invraisemblables coups.<br />

Parfois, je posais devant moi, sur la table, la bague d’Ava. Et je rêvais de longs moments.<br />

L’Europe commençait à devenir pour moi une terre étrangère.<br />

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