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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Mon père revint de guerre un peu avant que l’Espagne du peuple, écrasée par Franco, Mussolini,<br />

la « non intervention » de nombreux partis socialistes, la « neutralité » bien orchestrée des<br />

démocraties occidentales apeurées par la perspective de la Révolution, enfin par les actions<br />

criminelles des mai très du Kremlin, rendit l’âme. Franco n’a pas triomphé d’une Espagne « noire et<br />

rouge » vaincue par la force des armes. Il a promené sa gueule d’assassin à travers une Espagne<br />

exsangue, à travers un cimetière. Il se proclama caudillo sur une terre brûlée, où se décomposaient<br />

les corps de dizaines de milliers de femmes et d’hommes dignes qui avaient décidé, une fois pour<br />

toutes, « La liberté (plus la Révolution sociale) ou la mort. »<br />

Mon père rentra donc avec sur les mains le sang des martyrs de la « semaine sanglante » de<br />

Barcelone, celui d’Andrès Nin, celui des camarades de la « Colonne Durruti ». Comme je regrette<br />

de n’avoir pas eu alors vingt ans, pour parler avec lui. Tout cela m’échappait évidemment.<br />

Aujourd’hui, j’incline à croire qu’il est revenu ébranlé, qu’une fissure se produisit en lui, que<br />

quelque chose s’éteignit définitivement dans son esprit.<br />

En ce qui me concerne j’étais tout naturellement heureux de retrouver – ou de trouver somme<br />

toute – un père qui m’avait quitté, juste après ma naissance. Je crois qu’on festoya en l’honneur de<br />

ce retour, que ma mère pleura à chaudes larmes, effondrée sur la poitrine de mon père qui était –<br />

une très vieille photo l’atteste – un fort beau séduisant garçon. Étrangement, ils ne me firent pas de<br />

petit frère ou de petite sœur. Était–ce dû à l’angoisse qui régnait en Europe ? Pour beaucoup, une<br />

guerre mondiale était prévisible. L’appétit démesuré du Führer allemand devait forcément le lancer<br />

à l’assaut de démocraties pourries, submergées de trafics, magouilles, prévarications, scandales<br />

financiers. On se souviendra de la première chaude alerte de février 1934. En France même, une<br />

certaine droite lorgnait du côté de Berlin. Des écrivains, des artistes ne cachaient pas leur<br />

admiration pour le régime nazi, musclé et efficace. Drieu La Rochelle et Céline tonitruaient,<br />

vitupéraient, s’abandonnaient à leurs fantasmes, à leurs délires. La « France moyenne » s’occupait à<br />

survivre au jour le jour, à s’enivrer de chansons la plupart du temps vulgaires, bébêtes. Charles<br />

Trénet s’époumonait : « y’a d’la joie ». Mais les camps français, à Argelès et ailleurs, retenaient<br />

prisonniers, dans des conditions atroces, les courageux combattants espagnols qui avaient, l’âme<br />

brisée, franchi les Pyrénées, mais le grand poète espagnol Antonio Machado venait mourir à<br />

Collioure, entrailles déchiquetées par une douleur inouïe, mais les camps allemands regorgeaient de<br />

militants socialistes, communistes, révolutionnaires de gauche. Mais, ici et là, on fourbissait les<br />

armes. Aujourd’hui encore, je tremble à l’idée d’avoir traversé, inconscient ou presque, tant de<br />

périls et d’avoir survécu.<br />

La guerre survint, comme prévu. Mon père, avec les autres hommes partit. Une seconde fois je<br />

me retrouvais en quelque sorte orphelin, à nouveau livré aux femmes, aux soins maniaques des<br />

vieilles femmes qui fréquentaient le magasin. Ce doit être à cette époque que j’attrapais la gale du<br />

pain. De cela aussi ma mémoire garde, l’image. Le traitement était terrifiant. Il fallait me donner<br />

plusieurs fois par jour des bains de soufre et me frotter le corps, de haut en bas, avec une brosse en<br />

chiendent. Je devins, malgré moi, champion de course à pied. C’était une cavalcade effrénée, des<br />

supplications de ma grand–mère et de ma mère, de ma tante et de mon oncle, du chœur des<br />

« vieilles », à chaque fois que l’heure du bain fatidique sonnait. Je me cachais, je me dérobais. Je<br />

n’écoutais pas les criailleries des femmes. J’étais terrorisé. Je souffrais à l’avance d’atroces<br />

douleurs. Mais, toujours, le clan des femmes l’emportait. J’étais traîné, manu militari, jusqu’à<br />

l’immense baquet. Et la torture commençait. Ma mère avait beau me couvrir de larmes brûlantes, je<br />

les haïssais toutes. J’aurais voulu les détruire. Je hurlais à chaque fois que la brosse faisait éclater<br />

les pustules. Je brûlais d’une épouvantable fièvre. Je suppliais, je jetais mes pauvres petits poings en<br />

direction des tortureuses. Enfin, épuisé, vaincu, je m’abandonnais. <strong>Les</strong> soins effectués on<br />

m’arrachait à l’affreux baquet, on m’enveloppait de serviettes, de pansements, on me couvrait de<br />

pommade douce, on me dorlotait, on me chantait des comptines, on me berçait. Toute révolte brisée,<br />

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