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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

troublé. J’essayais de cacher ce trouble. Cinq minutes plus tard, la jeune femme reparut, salua à<br />

nouveau et sortit de la maison. Je laissai passer quelques minutes, puis d’un air qui se voulait<br />

indifférent, je questionnais Paul à propos de l’inconnue. Paul me dit qu’il ne la connaissait pas très<br />

bien, qu’à priori elle demeurait aux lisières de la ville, dans une grande demeure bourgeoise, en<br />

compagnie d’une grand–mère qui n’avait plus toute sa tête. Paul ne savait pas exactement à quoi<br />

cette jeune femme vouait son existence. Ce qu’il pouvait dire c’est qu’elle était une personne très<br />

raffinée, musicienne, passionnée de poésie. Elle apparaissait sans prévenir chez Paul puis<br />

disparaissait et ne donnait plus de nouvelles pendant de longues semaines. C’était beaucoup, c’était<br />

peu pour atténuer mon trouble. Au contraire, à mesure que Paul me confiait ce qu’il savait ou<br />

croyait savoir, mon trouble allait grandissant. Je fis effort pour chasser de mon esprit cette présence.<br />

C’est alors qu’à nouveau la porte s’ouvrit sur la jeune femme. Sans dire un mot elle se débarrassa<br />

de son imperméable et prit place près de Paul. Jacques aussi était fasciné. Du coin de l’œil, tout en<br />

m’efforçant de donner les apparences, je l’observais. Son visage n’était pas sans rappeler celui<br />

d’une déesse que j’avais par hasard contemplée, en feuilletant un album d’art. Sa chevelure partagée<br />

en deux masses sombres était nouée en chignon sur la nuque. La chair était très pâle. Elle avait dans<br />

un geste adorable, volontaire (?) croisé ses bras sur la poitrine et je pouvais voir ses longues mains,<br />

objet sans aucun doute d’un soin méticuleux.<br />

Le repas était achevé depuis un long moment quand Paul proposa de faire une petite promenade.<br />

<strong>Les</strong> enfants applaudirent. Paul invita la jeune femme à nous suivre. Nous partîmes à pas lents. Le<br />

hasard (?) fit qu’au bout de quelques minutes je me retrouvais, seul, en sa compagnie. Jacques, Paul<br />

et sa femme marchaient à plus de vingt mètres devant nous, précédés par les trois enfants du couple.<br />

Nous nous dirigions vers le port. C’était l’heure entre chien et loup. La nuit commençait à noyer les<br />

choses. Je restais silencieux. Je n’osais pas rompre le silence. Et puis que dire ? La jeune femme ne<br />

semblait éprouver le désir de parler. Elle regardait droit devant elle. Nous traversâmes plusieurs rues<br />

étroites, des places désertes. C’est alors que je me rendis compte que nous avions perdu nos <strong>amis</strong>. Je<br />

ne pus m’empêcher d’en faire la remarque à voix haute. La jeune femme se tourna vers moi et dit<br />

« Venez ». Totalement subjugué je pris la main qu’elle me tendait, une main glacée et brûlante à la<br />

fois.<br />

Comment ressusciter ce qui arriva ensuite. <strong>Les</strong> mots sont impuissants. Comment nommer des<br />

lieux, des moments que j’ai traversé comme un somnambule. Plus tard, évoquant cette aventure<br />

dans un récit que j’écrivais, il m’arriva de me poser franchement la question : « André, n’as–tu pas<br />

rêvé tout cela ? La vérité c’est que j’ai rêvé à l’intérieur d’un rêve. La jeune femme m’entraîna.<br />

Connaissant à peine la topographie de la ville, j’étais proprement égaré. Mais égaré je l’étais à tous<br />

les sens du mot.<br />

La jeune femme sortit une clé de sa poche. Nous pénétrâmes dans un vaste appartement obscur<br />

où tous les meubles étaient recouverts d’une housse. Elle semblait connaître les lieux par cœur.<br />

J’aperçus accrochés aux murs des tableaux classiques, des nus, des scènes de chasse. Nous entrâmes<br />

dans une pièce plus petite. Un grand lit à colonnes en occupait le centre. La jeune femme, presque<br />

collée à mon corps, me fixa avec une intensité décuplée. Lentement sa bouche se rapprocha de la<br />

mienne. Elle noua ses mains sur ma nuque et m’embrassa avec une violence qui me fît presque<br />

peur. Mais je ne pouvais même pas envisager de fuir. J’étais incapable de faire un pas de côté. Le<br />

baiser dura longtemps, une éternité peut–être. Je vacillais. J’avais le ventre écartelé, les épaules<br />

percées par une foudre blanche. Nous roulâmes sur le lit à colonnes. Nous fîmes l’amour. À un<br />

moment, je voulus lui demander son nom, apprendre quelque chose d’elle. Elle posa un doigt sur<br />

mes lèvres. Je me gardai de récidiver.<br />

Tard dans la nuit nous quittâmes cet appartement. Nous marchâmes à travers la cité éteinte. Nous<br />

nous retrouvâmes au buffet de la gare où somnolaient quelques voyageurs en attente du train. Nous<br />

bûmes plusieurs cafés. Puis notre errance reprit. L’inconnue m’entraîna encore dans d’autres lieux,<br />

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