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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

prophétisé dans les publications de l’Internationale Situationniste.<br />

Mai 68 fut un conglomérat rassemblant les gens du « ras le bol » et ceux qui avaient un « projet<br />

politique ». Étrange phénomène qui vit des étudiants privilégiés, somme toute, casser la baraque<br />

aux côtés de loubards de banlieues qui, eux, souhaitaient avant tout casser du « flic ».<br />

Quel écrivain hyperdoué pourra jamais restituer l’atmosphère de ces journées turbulées, de ces<br />

nuits affolées où « Paris brûla, au grand dam des honnêtes gens.<br />

Il y eut le Mai des jeunes – étudiants, loubards, lycéens, paumés mêlés –, il y eut le Mai des<br />

travailleurs plus ou moins bien tenus en laisse par les syndicats.<br />

Il y a le mai fantasmé, proche et lointain, qu’increvables « vétérans » il nous arrive d’évoquer, en<br />

fin de repas.<br />

Durant ces quelques semaines insurrectionnelles, je fus affreusement lucide. Mai ne pouvait<br />

emporter un édifice gouvernemental érigé au long des siècles. Il ne pouvait changer les mentalités<br />

du jour au lendemain. De plus il était partagé entre des comportements qui, au–delà de la<br />

phraséologie violente, ne heurtaient guère l’ordre établi, et des comportements plus rarissimes, mais<br />

neufs.<br />

La vieille gauche pourrie courait après Mai, le flattait avec l’espoir d’avoir sa peau. <strong>Les</strong> jeunes<br />

gens emportés dans le tourbillon vivaient l’instant, sans souci du futur. Quelques–uns essayaient de<br />

donner au mouvement ce contenu décisif révolutionnaire qui lui faisait défaut. Nous occupâmes la<br />

Sorbonne, prîmes parti pour les « katangais » que les étudiants « politisés » et « responsables »<br />

repoussaient.<br />

Nous nous battîmes rue Gay–Lussac, comme des enragés. On ne rentrait plus vraiment chez soi.<br />

On refaisait la « Commune de Paris »; Nous étions décidément prisonniers du passé avec notre<br />

stratégie de barricades ridicules.<br />

Nous inventâmes de merveilleux mots de « désordre » qui devaient plus tard inspirer quelques<br />

gouvernants en crise d’imagination. Nous n’eûmes pas raison de l’appareil d’État oppressif. C’était<br />

logique, d’ailleurs.<br />

Je ne regrette pas ces journées, ces nuits mêlées de rires et de cris de souffrances, d’envolées<br />

lyriques et de brutalités policières, de lieux–communs et d’extraordinaires fraîches paroles.<br />

Mai ne fut même pas la répétition d’une révolution. Il fut une sorte de « récréation » prise entre<br />

deux prises de poste à l’usine. Il fut l’expression d’un immense ras–le–bol qui ne parvint pas à<br />

emporter l’adhésion des masses ouvrières, sauf rares exceptions, il fut le cri d’angoisse d’une<br />

génération privilégiée qui craignait pour son avenir. N’avions–nous pas dénoncé à l’IS 2 les étudiants<br />

comme étant des merdes, des fantômes.<br />

Mai constitua ma dernière jusqu’à ce jour « illusion lyrique ». La société permissive, à laquelle<br />

ne s’opposaient pas les nouvelles couches capitalistes, qui en avaient fini avec l’archaïsme du passé,<br />

y trouva son compte. Jouir sans entraves, ce slogan imbécile, dénué de tout poids, fleurissait sur les<br />

murs qui proclamaient tout et n’importe quoi. Une certaine jeunesse crachait son prurit avant de<br />

reprendre place dans les colonnes de l’ordre.<br />

Mai 68, je ne veux plus d’une certaine façon en entendre parler. Mai ne me concerne plus, pas<br />

plus que les fruits empoisonnés dont il accoucha par réaction : les organisations « pures et dures »<br />

décidées, une fois de plus – la millième peut-être – à bâtir le Parti du Prolétariat. Maoïstes,<br />

trotskystes forgeaient l’acier dont on fait les défaites inévitables. Mai 68 est loin. Je garde, dans<br />

mon portefeuille, quelques photos de Dany-Le-Rouge, d’insurgés masqués dressant leurs maigres<br />

armes. On ne m’en voudra pas d’avoir vieilli.<br />

2 Internationale Situationniste<br />

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