LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
mon séjour. Une dizaine de jours, je sillonnais le pays, de cache en cache, recueillant témoignage<br />
sur témoignage, chacun plus accablant que le précédant, pour la dictature de Salazar. À l’époque, le<br />
Portugal n’existait pas pour la gauche occidentale. L’Espagne garrottée suffisait amplement à ses<br />
fantasmes. Je revins avec la matière d’une brochure. J’avais lu déjà un ou deux numéros<br />
d’Exigence. J’étais ému par le courage, l’obstination de ces jeunes gens qui, sans grands moyens,<br />
s’acharnaient à déchirer le rideau d’ombre et de sottise qui avait enveloppé le pays dans sa presque<br />
totalité.<br />
Je leur proposai mon reportage. Ils acceptèrent d’enthousiasme de le publier. C’est ainsi que je<br />
fis leur connaissance. Mon reportage parut et intéressa suffisamment la direction du Monde qui<br />
obtint l’autorisation de le publier à son tour. Ce reportage de sang et d’horreur fut ma première<br />
contribution à ce journal auquel aujourd’hui encore je collabore régulièrement, et sans honte. J’ai<br />
toujours préféré un Journal « libéral » à une feuille « gauchiste–hystérique », et je suis de ceux qui<br />
peuvent appeler « gros tas de margarine » le camarade Mao.<br />
Ma vie quotidienne se résumait à une sorte de course folle. Il m’était de plus en plus difficile<br />
d’accorder ma vie de pigiste avec celle d’activiste clandestin. Agir au grand jour et agir<br />
parallèlement dans le secret de l’ombre devenait une tâche délicate. Je courrais en toute<br />
vraisemblance à ma perte. La répression s’abattait de plus en plus fortement sur la FCL.<br />
Interpellations, perquisitions chez les uns et les autres, menaces se succédaient à un rythme affolant.<br />
Je vivais d’amours brèves, de rencontres sans lendemain. Le rêve de l’amour fou éclatait en<br />
morceaux. Je fréquentais de moins en moins les réunions du groupe surréaliste qui concoctait, sans<br />
interruption, de subversifs manifestes. J’étais plongé dans une action multiforme. La petitesse de<br />
cette actionne pouvait être tenue à distance qu’à cause de la certitude qu’à certains moments de<br />
l’existence humaine, il y a des choix impératifs, des actes qu’on ne peut pas ne pas commettre, quel<br />
que soit le résultat. L’avenir était totalement incertain, un mot vide de sens, je m’accrochais de<br />
toutes mes forces au présent, à l’instant. J’étais prêt à mourir une heure, une semaine, un an, un<br />
siècle plus tard. C’est alors que le Pouvoir décida de frapper un grand coup, en interdisant la FCL.<br />
Depuis un certain temps nous avions quitté le Quai de Valmy et son atmosphère prévertienne pour<br />
nous installer rue St Denis où, entre deux « passes » des prostitués compréhensives et quelque peu<br />
expertes en dactylographie, venaient nous aider à la rédaction du Libertaire. Le filet se refermait<br />
lentement sur nous. Mes articles dans Combat, Esprit, Le Libertaire m’avaient valu des lettres de<br />
menaces de mort que, mes camarades et moi prenions très au sérieux. Je n’étais pas le seul dans ce<br />
cas. <strong>Les</strong> fanatiques de l’Algérie française développaient leurs activités, leurs agressions, leurs<br />
attentats. La gauche à l’exception d’une minorité de lucides et honnêtes gens, criait très fort pour<br />
masquer non seulement son inaction mais sa complicité de fait avec les dirigeants de la bourgeoisie.<br />
Hypocrites comme toujours, habiles comme de fins renards, les communistes tenaient plusieurs fers<br />
au feu. Ils célébraient à la fois les actes de résistance de certains de leurs jeunes militants tout en<br />
condamnant les révolutionnaires algériens qui n’étaient pas précisément communistes. Ils jouaient<br />
un jeu dont ils n’ont jamais perdu les règles.<br />
Pour moi une échéance approchait : j’avais toute chance d’être appelé à la guerre puisque<br />
personne d’entre nous pensait qu’elle puisse s’achever avant 1956.<br />
C’était décidé depuis longtemps. Je serai insoumis. Je savais ce que cette décision impliquait : la<br />
clandestinité totale. Je n’avais aucune expérience de ce côté–là. Mais j’étais décidé à ne pas aller<br />
mourir pour le compte de la bourgeoisie française, à ne pas aller combattre contre un peuple dont<br />
les options révolutionnaires n’étaient pas les miennes, mais contre lequel je n’avais aucune raison<br />
de combattre les armes à la main.<br />
L’année fatidique arriva. Ce ne fut pas seulement l’année de mon insoumission, mais aussi celle<br />
de la révolte de Budapest. Un éclair d’aube déchirait enfin les ombres du bloc soviétique.<br />
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