13.07.2013 Views

LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

mon séjour. Une dizaine de jours, je sillonnais le pays, de cache en cache, recueillant témoignage<br />

sur témoignage, chacun plus accablant que le précédant, pour la dictature de Salazar. À l’époque, le<br />

Portugal n’existait pas pour la gauche occidentale. L’Espagne garrottée suffisait amplement à ses<br />

fantasmes. Je revins avec la matière d’une brochure. J’avais lu déjà un ou deux numéros<br />

d’Exigence. J’étais ému par le courage, l’obstination de ces jeunes gens qui, sans grands moyens,<br />

s’acharnaient à déchirer le rideau d’ombre et de sottise qui avait enveloppé le pays dans sa presque<br />

totalité.<br />

Je leur proposai mon reportage. Ils acceptèrent d’enthousiasme de le publier. C’est ainsi que je<br />

fis leur connaissance. Mon reportage parut et intéressa suffisamment la direction du Monde qui<br />

obtint l’autorisation de le publier à son tour. Ce reportage de sang et d’horreur fut ma première<br />

contribution à ce journal auquel aujourd’hui encore je collabore régulièrement, et sans honte. J’ai<br />

toujours préféré un Journal « libéral » à une feuille « gauchiste–hystérique », et je suis de ceux qui<br />

peuvent appeler « gros tas de margarine » le camarade Mao.<br />

Ma vie quotidienne se résumait à une sorte de course folle. Il m’était de plus en plus difficile<br />

d’accorder ma vie de pigiste avec celle d’activiste clandestin. Agir au grand jour et agir<br />

parallèlement dans le secret de l’ombre devenait une tâche délicate. Je courrais en toute<br />

vraisemblance à ma perte. La répression s’abattait de plus en plus fortement sur la FCL.<br />

Interpellations, perquisitions chez les uns et les autres, menaces se succédaient à un rythme affolant.<br />

Je vivais d’amours brèves, de rencontres sans lendemain. Le rêve de l’amour fou éclatait en<br />

morceaux. Je fréquentais de moins en moins les réunions du groupe surréaliste qui concoctait, sans<br />

interruption, de subversifs manifestes. J’étais plongé dans une action multiforme. La petitesse de<br />

cette actionne pouvait être tenue à distance qu’à cause de la certitude qu’à certains moments de<br />

l’existence humaine, il y a des choix impératifs, des actes qu’on ne peut pas ne pas commettre, quel<br />

que soit le résultat. L’avenir était totalement incertain, un mot vide de sens, je m’accrochais de<br />

toutes mes forces au présent, à l’instant. J’étais prêt à mourir une heure, une semaine, un an, un<br />

siècle plus tard. C’est alors que le Pouvoir décida de frapper un grand coup, en interdisant la FCL.<br />

Depuis un certain temps nous avions quitté le Quai de Valmy et son atmosphère prévertienne pour<br />

nous installer rue St Denis où, entre deux « passes » des prostitués compréhensives et quelque peu<br />

expertes en dactylographie, venaient nous aider à la rédaction du Libertaire. Le filet se refermait<br />

lentement sur nous. Mes articles dans Combat, Esprit, Le Libertaire m’avaient valu des lettres de<br />

menaces de mort que, mes camarades et moi prenions très au sérieux. Je n’étais pas le seul dans ce<br />

cas. <strong>Les</strong> fanatiques de l’Algérie française développaient leurs activités, leurs agressions, leurs<br />

attentats. La gauche à l’exception d’une minorité de lucides et honnêtes gens, criait très fort pour<br />

masquer non seulement son inaction mais sa complicité de fait avec les dirigeants de la bourgeoisie.<br />

Hypocrites comme toujours, habiles comme de fins renards, les communistes tenaient plusieurs fers<br />

au feu. Ils célébraient à la fois les actes de résistance de certains de leurs jeunes militants tout en<br />

condamnant les révolutionnaires algériens qui n’étaient pas précisément communistes. Ils jouaient<br />

un jeu dont ils n’ont jamais perdu les règles.<br />

Pour moi une échéance approchait : j’avais toute chance d’être appelé à la guerre puisque<br />

personne d’entre nous pensait qu’elle puisse s’achever avant 1956.<br />

C’était décidé depuis longtemps. Je serai insoumis. Je savais ce que cette décision impliquait : la<br />

clandestinité totale. Je n’avais aucune expérience de ce côté–là. Mais j’étais décidé à ne pas aller<br />

mourir pour le compte de la bourgeoisie française, à ne pas aller combattre contre un peuple dont<br />

les options révolutionnaires n’étaient pas les miennes, mais contre lequel je n’avais aucune raison<br />

de combattre les armes à la main.<br />

L’année fatidique arriva. Ce ne fut pas seulement l’année de mon insoumission, mais aussi celle<br />

de la révolte de Budapest. Un éclair d’aube déchirait enfin les ombres du bloc soviétique.<br />

- 89 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!