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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

par les pluies en novembre, griffée par les chants d’oiseaux en juillet. Poussière, elle s’est dissoute.<br />

Elle est devenue étendue sans limites. Françoise est enterrée dans chacune de mes veines, dans<br />

chacune de mes respirations. Elle voyage avec moi, elle dort avec moi depuis presque trente ans.<br />

Clandestinement. Incognito. Elle-même sans doute l’ignore. Là-bas, près de Soissons, une tombe<br />

porte son nom. La rivière roucoule doucement sous la feuillée. Une paix tranquille habite le petit<br />

cimetière. Je le sais puisque je n’y suis jamais retourné. Puisque Françoise est avec moi.<br />

Tout arriva brutalement. Un samedi ou un dimanche – nous approchions des fêtes de Pâques –<br />

Françoise eut un malaise. Une grande et mystérieuse lassitude s’abattit sur elle. Au départ, personne<br />

ne s’alarma. On appela malgré tout le médecin de famille qui ne diagnostiqua rien de grave,<br />

apparemment. Par acquit de conscience, il recommanda une analyse du sang. Comme ça, pour voir.<br />

Quand le médecin de famille eut entre les mains les résultats de cette analyse dont il n’attendait<br />

aucune mauvaise indication, il sursauta. L’analyse prouvait que la leucémie ravageait Françoise, que<br />

le mal avait atteint une dimension qui condamnait pratiquement la jeune fille à une mort rapide. Le<br />

médecin mit au courant les parents de Françoise avec tout le tact possible. <strong>Les</strong> perspectives étaient<br />

effrayantes car en ce temps-là la leucémie était une maladie mortelle dans la plupart des cas. J’étais<br />

là. Mon imagination fébrile, détraquée, me faisait voir un immense champ de bataille où<br />

s’affrontaient globules blancs et globules rouges. J’entendais le fracas d’empoignades furieuses.<br />

Des éclairs de feu illuminaient la scène. <strong>Les</strong> parents étaient effondrés. Mère 2 et mon père faisaient<br />

ce qu’ils pouvaient. Ils tentaient de réconforter l’un et l’autre. Mère 2 fît du café très fort. Ce soir–là<br />

on veilla très tard dans nos deux maisons. Il n’était pas question, bien sûr, de dire la vérité à<br />

Françoise. Nous organisâmes le mensonge, un mensonge d’amour. Nous lui racontions qu’elle était<br />

la proie d’une maladie pénible mais absolument pas dangereuse. Je ne saurais jamais si Françoise a<br />

partagé notre mensonge, si son énorme désire de vivre ne la poussait pas à nous faire confiance, à<br />

croire nos paroles, ou bien si, au contraire, sans être dupe un instant, elle ne fit pas semblant de nous<br />

croire afin de ne pas nous désespérer tout à fait. J’allais lui rendre visite presque chaque jour. Je lui<br />

apportais des nouvelles de Félix mais il semblait que la maladie ait éloigné Félix d’elle. Il semblait<br />

que je redevenais le Roi d’amour. Elle prenait mes mains sans rien dire. Elle les pressait très fort.<br />

Ses yeux étaient transparents. Ils semblaient n’avoir pas de fond. Je lui apportais des livres, des<br />

magazines, des échos de la vie et de la rue, des bouquets de fleurs. Je refoulais les larmes qui<br />

noyaient mes yeux. Je m’efforçais à sourire, à plaisanter même. J’évoquais sa prochaine sortie de<br />

l’hôpital. Ce serait encore l’été. Nous irions tous ensemble à la mer. Elle souriait, lointaine déjà.<br />

L’été pour Françoise se limita aux quatre murs de la chambre d’hôpital, aux visites de ses parents,<br />

de quelques <strong>amis</strong>, voisins. À mon irruption quotidienne.<br />

Au commencement de l’automne, je compris mystérieusement qu’il n’y en avait plus pour<br />

longtemps. <strong>Les</strong> transfusions de sang avaient échoué. <strong>Les</strong> salauds de globules blancs, en rangs serrés<br />

comme des armées de Moyen–Age, progressaient, élargissaient leur territoire. Françoise devenait de<br />

plus en plus diaphane. Elle était littéralement une chandelle qui s’éteignait à petit feu. Son<br />

pathétique visage devenait de plus en plus pâle. Ses yeux s’agrandissaient, dévorant le visage. Elle<br />

ne se plaignait pas. Elle jouait avec les fleurs qu’elle tournait entre ses doigts fragiles. Son regard<br />

s’attardait sur les choses, longuement. On aurait dit qu’elle faisait ses adieux à la lumière du ciel, au<br />

vase de fleurs, aux figures connues, aux objets usuels.<br />

Elle entra dans le coma quelques jours avant Noël. J’insistai pour la voir une dernière fois. Image<br />

terrible. Elle n’avait plus conscience. Je murmurai inutilement son nom. Oubliant ses parents,<br />

l’infirmière, le docteur présent je baisai longuement ses lèvres glacées déjà, et je sortis<br />

précipitamment, la poitrine broyée de sanglots.<br />

Le lendemain, Françoise mourut. On l’enterra quelques jours plus tard dans le cimetière familial<br />

près de Soissons. Je me rappelle encore la petite église avec le carreau cassé. Il pleuvait, je crois.<br />

Nous avions froid. <strong>Les</strong> parents de Françoise, son frère Christian étaient soutenus par mes parents.<br />

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