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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

La guerre d’Algérie commença la nuit de la Toussaint 1954. J’étais rentré d’Espagne quelques<br />

jours plus tôt. J’avais enfin obtenu de Paco l’autorisation de participer à une « opération » de son<br />

groupe. J’avais connu Paco dans les locaux de la F.C.L. Nous nous étions liés d’amitié<br />

immédiatement, dès le premier coup d’œil. Paco était un fils d’anarchistes espagnols qui avaient été<br />

exécutés durant la guerre civile au garrot. Paco était encore un très jeune enfant. Il participa aux<br />

derniers combats quand les révolutionnaires désarmés ou presque luttaient pour la dignité. Avec des<br />

enfants de son âge il montait, mains nues, à l’assaut des nids de mitrailleuses franquistes. Tous ceux<br />

qui avaient à craindre la haine de Franco franchissaient la frontière. Tous ceux qui fuyaient, refusant<br />

de continuer à vivre sur le sol d’un pays abattu par la bête fasciste, se heurtaient aux gendarmes<br />

français qui les dirigeaient vers les camps d’accueils (!) où on les parquait comme déjà en<br />

Allemagne nazie Hitler et ses fauves SS parquaient les juifs, les oppositionnels, les démocrates, les<br />

libéraux, les insoumis avant de les exterminer. Parmi eux, il y avait le poète Antonio Machado,<br />

épousant la douleur de son peuple, liant définitivement son sort à la troupe des vaincus, des humbles<br />

dont la supériorité en armes des insurgés avait eu raison. On sait que c’est à Collioure que Machado<br />

devait rendre l’âme, épuisé, brisé par la tragédie sanglante, par la mise en croix de son Espagne du<br />

marteau et de la faux.<br />

Paco avait dû fuir comme les autres. Mourir avait été une tentation. Mais une autre tentation<br />

avait triomphé : celle de demeurer vivant pour venger les siens, ses parents, son peuple bafoué,<br />

martyrisé. Depuis ces heures affreuses, toute l’énergie de Paco avait consisté à sauver en lui les<br />

forces de vie, à nourrir sa haine lancinante et lumineuse, à vaincre tous les obstacles qui auraient pu<br />

le mener à la mort, au tombeau. Il s’était fait une santé de fer. Il avait violenté son corps afin que<br />

celui–ci acquiert une résistance inébranlable. Il avait entretenu sans cesse la flamme dans son esprit.<br />

Paco avait survécu avec l’aide d’<strong>amis</strong> français. Il avait traversé sans trop de difficultés la seconde<br />

guerre mondiale. Grâce à un vieux compagnon réchappé, lui aussi, de l’enfer, il avait apprit tous les<br />

secrets du métier d’orfèvre.<br />

Quand je fis sa connaissance, Paco était officiellement orfèvre. Il gérait une petite boutique dans<br />

une rue assez sordide du quartier de la Bastille. Je ne pense pas que la police était dupe. Car Paco<br />

n’était pas qu’un orfèvre apparemment tranquille, un homme sans histoires, un brave père de<br />

famille. Il était l’animateur d’un réseau de lutte antifranquiste. Il lui arrivait assez régulièrement de<br />

s’absenter de Paris. <strong>Les</strong> clients ne discutaient pas les prétextes avancés par sa compagne qu’il<br />

nommait toujours Melba. Ce n’était sans doute pas son vrai prénom. Je ne connus jamais le vrai.<br />

Melba était d’origine andalouse. C’était une femme d’une beauté étonnante. Je ne sais si cette<br />

beauté résidait dans sa chevelure toute sombre, dans la pure blancheur de sa peau, dans le doux<br />

profil de son visage.<br />

Dès notre première rencontre Paco m’invita chez lui. Il habitait un minuscule appartement au–<br />

dessus de la boutique. Le mobilier était des plus rudimentaires : une table, une grosse armoire, un<br />

buffet, un lit, le lit de leur adorable fillette de trois ans, quelques chaises plus ou moins branlantes.<br />

Mais sur cette pauvreté assumée rayonnait Melba. Sa présence transfigurait la grisaille des murs<br />

lépreux, le carreau à travers lequel ne filtrait qu’une maigre lumière étouffée par les murs d’une<br />

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