LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
poitrine. Ses bras battirent l’air. Ses yeux s’agrandirent encore jusqu’à dévorer le visage entier. Puis<br />
elle retomba, inerte. Elle était morte. Au même moment, mes parents surgirent de leur chambre.<br />
C’était fini.<br />
Longtemps, je contemplai Grand-mère morte. Je n’arrivais pas à détourner mon regard de son<br />
cadavre. Cette femme qui m’avait fait sauter, bébé, sur ses genoux, n’était plus que silence et<br />
distance. Mère 2 effondrée sur une chaise, pleurait. Mon père prépara des cafés chauds. Cette nuit-là<br />
la lampe resta allumée jusqu’au matin.<br />
J’avais écrit une poignée de poèmes. Entre-temps notre groupe s’était lancé dans l’édition avec<br />
l’aide d’un peintre sérigraphe, Guy R. Nous imprimions nous-mêmes de petites plaquettes à<br />
l’enseigne de l’Orphéon. Des poètes « réputés » Jean Rousselot, Paul Chaulot, Marcel Béalu, Jean<br />
l’Anselme donnèrent des textes. Personnellement, j’avais déjà publié une modeste plaquette aux<br />
Éditions « Terre de feu » : Couleur végétale, éditions fondées par le poète Marc A. avec qui je<br />
devais partager une longue saison d’amitié, absolue, exigeante. Je commençai à m’éloigner de la<br />
maison familiale. À la suite d’un échec au concours d’entrée à l’École Normale, concours qu’avait<br />
suggéré un de mes professeurs, j’avais dû interrompre mes études. Grâce à une relation de mon<br />
oncle, j’entrais comme employé au Crédit Lyonnais. Je fus nommé guichetier à l’agence R. proche<br />
du Printemps et des Galeries Lafayette. C’était une agence qui recevait, chaque soir, d’énormes<br />
fonds en provenance de ces deux grands magasins. Elle était dotée d’un système sophistiqué de<br />
protection. Le responsable du siège central qui m’avait accueilli, me pria d’aller me présenter au<br />
directeur de l’agence R. Il n’y avait guère que cinq ou six cents mètres entre le siège social et<br />
l’agence. Je les parcourus à pied. J’arrivais quelques minutes avant la fermeture de l’agence. Le<br />
directeur, un gros homme ventripotent, me reçut avec courtoisie. Il parcourut mon dossier,<br />
m’expliqua quelles allaient être mes tâches dans l’agence. Au terme de notre entretien, comme je<br />
m’apprêtais à me retirer, il me retint : « Restez avec nous, s’il vous plaît, ce soir il y a une petite<br />
fête, comme chaque année, pour les employés ». Je n’osais pas refuser. <strong>Les</strong> employés se<br />
dépêchèrent de finir leurs travaux. Puis ils dressèrent une grande table chargée de jus de fruits, de<br />
boissons diverses, de gâteaux. Un pick-up avait été branché. Le directeur me présenta aux<br />
employés. La petite fête commença, banale. Je m’ennuyais fermement. Pour vaincre mon ennui, je<br />
commençais à vider subrepticement verre sur verre de vin. En moins d’un quart d’heure, j’avais la<br />
tête bourdonnante. Par ailleurs, je raflais méthodiquement les paquets de cigarettes disposés ici et<br />
là. Bientôt, j’eus des nausées épouvantables. Localisant une chaise, je me dis que le mieux était de<br />
me glisser jusqu’à elle, sans me faire remarquer et d’attendre des minutes meilleures. Je respirai un<br />
grand coup et m’élançai. Mal m’en prit. Mes pieds accrochèrent une moquette. Je trébuchai, battis<br />
l’air de mes bras, et m’écroulai sur le plancher. Sous l’effet du choc, je me mis à vomir. J’avais les<br />
boyaux en feu. Une terrifiante migraine écrasait mes tempes. Des employées me soignèrent. J’étais<br />
à demi inconscient. J’éprouvais une honte sans nom. Je m’excusais en bafouillant. Le directeur,<br />
magnanime, appela un taxi qui me ramena en banlieue. Quand mes parents me virent dans cet état,<br />
ils ne purent s’empêcher d’éclater de rire. J’évitais ainsi la violence de mon père. Je me jurais<br />
d’aller le lendemain au travail. Ce fut épouvantable. Une employée m’expliquait les secrets du<br />
métier. Moi, j’avais l’œil rivé si l’on peut dire sur les convulsions de mon foie. À chaque grosse<br />
nausée, le mouchoir écrasé sur la bouche, je filai, livide, en direction des cabinets. Je repris souffle à<br />
mesure que la journée déclinait. En quelques semaines, on fit de moi un employé de banque<br />
exemplaire. Mais il était dit que je ne finirais pas mon existence dans une banque. Très vite, je<br />
rejoignis les rangs du syndicat CGT, ce qui me valut une mauvaise note. J’étais particulièrement<br />
actif, dévoué. Je fus rapidement élu représentant du personnel. La direction, elle, m’avait dans le<br />
collimateur. Un autre événement allait attirer l’attention sur moi. C’était un après-midi d’été. La<br />
chaleur était accablante. Derrière nos guichets nous nous ennuyions ferme. C’est alors que pénétra<br />
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