LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
Je voyageais beaucoup. Je « couvrais » les grands événements du monde : coups d’État, mort<br />
d’hommes politiques importants. Je rencontrai ainsi Soekarno qui accueillit notre délégation avec<br />
deux rangées de superbes balinaises qui jetaient sur nos pas des pétales de fleurs, et qui, ensuite<br />
nous offrit un festin royal. C’était un jouisseur. À Pékin, j’interviewais Mao Tsé-Toung qui n’allait<br />
pas tarder à déclencher la Révolution Culturelle. Ce fut un étrange entretien. Je me tenais à distance<br />
du dieu vivant. Des secrétaires-traductrices transmettaient à voix murmurée mes questions et me<br />
rapportaient les réponses du Chef. Je restais quelques jours dans la capitale, découvrant ce peuple<br />
charmant, affable, serviable. Je pressentais la puissance du Parti qui couvrait l’existence entière des<br />
individus. Je devins l’ami de Medhi Ben Barka. J’eus de longs entretiens avec Nasser au Caire. À<br />
plusieurs reprises je me rendis au Vietnam du Nord où je rencontrais l’Oncle Ho qui se fit un plaisir<br />
de m’évoquer le Paris de sa jeunesse, avec l’inévitable « Commune » de Louise Michel. Je visitais<br />
plusieurs fois les maquis du sud. J’interrogeais des héroïnes du peuple qui n’avaient pas vingt ans et<br />
qui, armées de leur seul fusil, avaient d’une unique balle abattu des avions yankees. J’étais subjugué<br />
par ces combattants qui se nourrissaient d’une ou deux poignées de riz par jour et faisaient preuve<br />
d’une ardeur sans limites. Dans des réunions de solidarité internationale anti–impérialiste, je fis la<br />
connaissance de la plupart des leaders des guérillas d’Amérique Latine. Cette existence agitée,<br />
frénétique, me comblait assez. Il ne me manquait qu’une femme aimée près de moi. Elle survint un<br />
jour, sans crier gare. Elle s’appelait Ava. Elle était métisse américano-indienne. Elle avait été mêlée<br />
dans son pays et dans d’autres contrées à diverses actions révolutionnaires de gauche. Elle vivait en<br />
Algérie en position d’attente. Notre rencontre manqua de m’être fatale. C’était Noël. Nous avions<br />
décidé – peut–être avec un peu de nostalgie – à plusieurs Pieds rouges – ce terme que j’avais un<br />
jour subitement inventé pour désigner dans un article les français qui, comme moi, s’étaient mis au<br />
service de la « révolution » algérienne, était devenu célèbre – de fêter la naissance du Christ<br />
ensemble. Nous devions nous retrouver chez un pied rouge qui disposait, sur les hauteurs d’Alger,<br />
d’un vaste appartement. L’ami me fit savoir qu’Ali – Ali (un de nos <strong>amis</strong> algériens, membre des<br />
forces de sécurité) viendrait en compagnie d’une femme très belle, très étrange. Le soir de Noël<br />
nous nous retrouvâmes donc chez mon ami. Nous étions une vingtaine, garçons et filles mêlés,<br />
français et algériens. Il y avait même un ou deux représentants d’obscurs mouvements de libération,<br />
d’Afrique noire et d’Amérique latine. Pour la saison le temps était très doux. Je songeais à ceux qui<br />
dans la vieille Europe glacée claquaient des dents à la même heure. Nous nous connaissions presque<br />
tous. Très vite de petits groupes se formèrent, échangeant leurs vues quant à l’avenir probable de la<br />
Révolution. Aux alentours de vingt–deux heures quelqu’un frappa à la porte. Notre ami se précipita.<br />
C’était Ali accompagné d’Ava. Pierre m’avait expliqué qu’ Ali était follement épris d’Ava mais que<br />
cette dernière n’éprouvait pour Ali qu’une amitié affectueuse. Je connaissais assez bien Ali. C’était<br />
un grand jeune homme au visage osseux, au front dégarni bien qu’il n’ait pas plus de trente ans. Il<br />
était vêtu d’un costume gris très strict. Ali était un bel homme d’une certaine façon. Ava avait revêtu<br />
un sari couleur safran. Elle arborait orgueilleusement le « troisième œil », un gros point rouge<br />
imprimé entre les deux yeux, sur le front. En vérité, c’était une créature d’une beauté à couper le<br />
souffle. Mais cette beauté visible à l’œil nu n’était sans aucun doute que le masque d’une autre<br />
beauté. Le regard ne trompait pas. Il brillait avec une intensité presque insoutenable.<br />
C’était la coquetterie d’Ava de revêtir dans certaines circonstances le sari traditionnel. Elle créait<br />
ainsi une certaine distanciation avec l’interlocuteur. Ses pouvoirs en étaient décuplés.<br />
On me présenta Ava. Nous échangeâmes quelques propos puis d’autres <strong>amis</strong> nous séparèrent. De<br />
plus, je ne voulais pas donner l’impression de vouloir l’accaparer.<br />
Ava allait de groupe en groupe. Elle semblait connaître la plupart des personnes présentes. Elle<br />
buvait, riait. Ali ne la quittait guère des yeux. À un moment, le hasard me ramena à ses côtés. C’est<br />
alors que – farce du maître des lieux ou pur accident – l’électricité s’éteignit brutalement.<br />
Inconsciemment, je saisis la main d’Ava qui ne la retira pas. Je crus même ressentir comme une<br />
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