LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
lui l’opprimé ? Vaincre les habitudes centenaires qui le portent vers l’obéissance, la divinisation<br />
d’un chef qui ne peut que finir dans la peau d’un autocrate ?<br />
Je m’en ouvris à Fidel, au Che, à Raul Castro au cours de nos multiples rencontres. Ils riaient,<br />
m’accusaient de n’être qu’un petit–bourgeois révolutionnariste. Ils avaient foi dans le peuple, dans<br />
leur révolution.<br />
Sur chaque visage je cherchais les signes qui m’auraient aidé à repousser la crainte, l’inquiétude.<br />
Cette île jetée sur la mer des Caraïbes me paraissait bien fragile pour affronter le destin, pour<br />
trouver sa place entre les « géants » qui se disputaient la planète. Y aurait–il assez de volonté,<br />
d’énergie chez les hommes pour refuser tout ce qui pourrait limiter la marche des Cubains vers la<br />
plus grande liberté, le plus grand épanouissement de l’Esprit et du corps ? Eros allait–il enfin<br />
l’emporter sur Thanatos ?<br />
Nicolas Guillen et les autres poètes célébraient la liberté retrouvée. Leurs vers prophétisaient le<br />
monde à venir, le monde déjà en construction. La jeunesse frénétique applaudissait son « lider<br />
maximo ». Elle improvisait des chansons. Elle marchait jusqu’aux villages les plus reculés pour<br />
alphabétiser le peuple. Elle traquait les contre révolutionnaires, les ennemis de la révolution.<br />
Ces quelques semaines furent un enchantement et une occasion d’inquiétude. Je laissais derrière<br />
moi Cuba, fournaise ardente, creuset de « l’homme nouveau ». Par les hublots de l’avion, je vis l’île<br />
devenir de plus en plus petite puis disparaître de ma vue. Il n’y avait plus que l’océan, vide de toute<br />
présence humaine. L’océan toujours recommencé. Comme la longue marche de Spartacus.<br />
Je revins à Cuba à plusieurs reprises. La « révolution » s’affichait partout. Mais déjà des signes<br />
inquiétants se multipliaient. Le Commandant Matos, un ancien compagnon de la Sierra Maestra, un<br />
combattant valeureux, était en prison. « Contre-révolutionnaire » m’objurgua-t-on. D’autres aussi<br />
croupissaient déjà dans les geôles qui n’avaient commis que le crime d’exprimer leurs désaccords<br />
avec Fidel.<br />
Je me trouvais à Cuba lorsque l’attaque des mercenaires à la Baie des Cochons eut lieu. J’étais<br />
avec plusieurs dirigeants dont Le Che et Fidel lorsque la nouvelle parvint. Ce fut aussitôt la ruée. Le<br />
« Che » me demanda de me tenir tranquille. Je revendiquais hautement de prendre la défense de la<br />
révolution, au nom du sacro–saint internationalisme prolétarien. On me donna une arme. Je me<br />
retrouvais dans un camion avec des jeunes gens qui partaient au combat en chantant.<br />
<strong>Les</strong> marais de Zapata étaient une zone très dangereuse infestée de caïmans. C’est là que les<br />
« guanos » avaient décidé de débarquer, protégés par des bateaux US. Ce fut un rude combat qui<br />
s’acheva par la débandade des envahisseurs. À un moment du combat, je me retrouvais allongé près<br />
d’un nègre qui semblait suffisamment âgé pour avoir connu, enfant, l’esclavage. Il serrait entre ses<br />
mains un gros fusil. Je remarquais sur la crosse du fusil six entailles faites au couteau. Je lui dis avec un<br />
sourire victorieux : « Seis guanos » ? Sa réponse me fit froid dans le dos : « No Señor, Seis Hijos » (Non<br />
Monsieur, six fils). Cet homme venait de perdre ses six fils. Il n’y avait plus que lui pour tenir le fusil,<br />
pour résister. Je posais ma main sur son épaule que je broyais littéralement. Je voulais lui transmettre ma<br />
compassion, ma sympathie.<br />
De retour en France, je suivais les événements. Ce que je craignais ne tarda pas à se produire.<br />
Cuba tombait lentement aux mains de Moscou. Le Parti Communiste cubain dont le rôle contre la<br />
dictature de Batista avait été dérisoire, tenait de plus en plus le haut du pavé. Fidel n’allait pas tarder<br />
à se découvrir « marxiste léniniste ». <strong>Les</strong> conseillers soviétiques dictaient leurs directives<br />
impunément.<br />
La répression s’abattit sur ceux qui n’acceptaient pas une telle orientation, un pareil inféodement.<br />
On tenta de les briser par la menace, le sévice, la torture. On en brisa beaucoup. On brisa Ismael<br />
Madruga, Alfredo Carrium Obeso, Ramos Kessel, Terres Martiro, Pedro Luis Boitel, cent, mille<br />
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