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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Central de Benjamin Péret, de Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe de Léo Malet, j’étais<br />

forêt de vertèbres secouée par des vents de force 20.<br />

Dans tous ces livres – mais étaient–ce seulement des livres ? – les mots « faisaient l’amour ».<br />

Ces lectures n’étaient pas sans troubles profonds. Elles heurtaient encore des convictions de<br />

jeunesse. Mais je ne pouvais me cacher la fascination que je ressentais. La poésie cessait d’être pour<br />

moi quelque chose qu’il fallait « comprendre ». Au sens où l’on comprend un article de journal.<br />

Dans les Vases communicants Breton m’enseignait les liens qui unissaient la réalité objective et<br />

Tin–conscient. J’appris que j’étais un iceberg dont une immense partie, immergée, demeurait<br />

ignorée des explorateurs, et que c’était à coup sûr dans cette partie immergée que résidaient des<br />

connaissances nécessaires à la compréhension du phénomène de l’existence. Je me passionnais pour<br />

les petites phrases qui viennent cogner contre la vitre. Je me mis à noter mes rêves, les phrases qui<br />

surgissaient au moment du demi-sommeil. L’une d’entre elles me revient subitement à la mémoire,<br />

complète, nette et claire : <strong>Les</strong> chevaliers de la Table Ronde cueillirent d’une main légère l’églantine<br />

du rêve avant d’aller jeter leurs armures pleines d’herbes folles dans le vieux puits moussu du<br />

château du Baron cathare.<br />

J’étais incapable d’expliquer la beauté que ces mots « donnés », jetait entre mes genoux<br />

tremblants, comme peut s’y jeter la femme amoureuse, la chevelure défaite, la poitrine hantée<br />

d’oiseaux verts et rouges. Mais pour cette beauté–là je serais mort sur place, le cœur percé de mille<br />

dagues, de mille flèches.<br />

Avec Breton, Péret et les autres je partageais la fascination des « lieux inspirés » : grands<br />

boulevards éclairés par les néons, altères propices aux plus délicieuses rencontres, hôtels de passe<br />

aux enseignes écaillées, insolites, halls de gares, ruelles aux rares lampadaires, squares aux recoins<br />

ombreux chargés d’obscure magie, cafés où le tueur des abattoirs de la Villette côtoie la « dame »<br />

des beaux quartiers, au cou frangé d’un collier de perles à trois rangées.<br />

Avec eux, je me perdais au fond de landes où Brocéliande, l’Enchanteur Merlin, Perceval le<br />

Gallois, manipulaient les formules sacrées. Avec eux, je m’enfonçais au cœur des landes<br />

inquiétantes où la peur était un cadeau de la nuit.<br />

Avec eux je criais « Orages désirés, levez–vous ».<br />

Chair tendue comme un arc, avec eux j’étais rébellion, prophétie, incantation et voyance.<br />

Certes, j’émettais des objections. Je n’avais guère croyance en l’écriture automatique. Je ne<br />

tardais pas d’ailleurs à savoir qu’André Breton, lui–même, le soi–disant « Pape » – baptisé ainsi par<br />

les médiocres, les ratés, les envieux, les pisseurs inconscients de copie – n’y croyait guère. Il en<br />

disait les échecs.<br />

De plus, et cela était essentiel à mes yeux, le Surréalisme « parisien » avait pour moi des parfums<br />

de seizième arrondissement. Pour tout dire, je ne le trouvais pas assez « sauvage », assez « barbare ». Il<br />

ne suffisait pas, à mes yeux, de désirer voir les petits chevaux mongols boire dans les fontaines de la<br />

Concorde. Et d’écrire cela magnifiquement parce que l’homme était en possession de dons inouïs.<br />

J’exigeais secrètement un « surréalisme farouche », je réclamais de ces hommes et de ces<br />

femmes qui mettaient en accusation toutes les valeurs ou prétendues telles sur lesquelles la société<br />

était fondée, sur lesquelles elle se maintenait tant bien que mal, et surtout grâce à une répression qui<br />

empruntait mille masques, celui du flic, de l’adjudant, du maître d’école, du patron, de l’intellectuel<br />

bourgeois, du contremaître, du psychiatre fou convaincu de l’exactitude de sa science – qu’ils<br />

joignissent l’acte à la parole. Je peux l’avouer. Aujourd’hui encore, et quelle que soit la<br />

« vénération » que je continue à lui porter, je ne puis relire sans quelque gêne ces admirables<br />

phrases de 1’Amour fou dans lesquelles André Breton explique pourquoi il ne rejoignit pas les rangs<br />

des révolutionnaires espagnols menacés d’extinction par la coalition de Franco, de Mussolini, de la<br />

non intervention de Léon Blum et des « démocraties bourgeoises » et surtout par la haine farouche<br />

de Staline qui, à cette époque, espérait encore un accord avec les capitales occidentales pour faire<br />

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