LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
Il ne m’est pas indifférent d’être né le 3 mars 1936.<br />
3 mars : cela signifie d’abord pour moi que j’ai été conçu durant l’été. Je suis donc un fils du<br />
commencement de l’été 1935. Je vois là un signe des dieux d’autant que ma venue au jour m’a<br />
placé sous le signe des « poissons », signe qui annonce l’infini, l’inachevé, la fluidité, la tension<br />
intérieure, la rêverie fondamentale. 1936 : l’année du Front populaire mais aussi de ce qu’on appelle<br />
maladroitement la « guerre d’Espagne » alors qu’il conviendrait de parler d’une révolution<br />
espagnole en voie d’éclatement que le soulèvement militaire de l’infâme Francisco Franco se donna<br />
pour but d’écraser dans l’œuf. 1936. Comme le temps passe, j’ai, aujourd’hui, à quarante–trois ans<br />
passé, la douloureuse, l’énervante sensation d’être aussi vieux que le vieil océan célébré par Isidore<br />
Ducasse, comte de Lautréamont, auteur des Chants de Maldoror. Depuis des années je traîne une<br />
lassitude impitoyable. Fatigue du corps et de l’esprit blessés gravement par les épreuves, les quêtes,<br />
les errances, les nuits blanches, les questionnements farouches, les aventures de poussière et de<br />
vent. Ma mémoire est déjà un grand cimetière jonché de curieux éléphants : visages, lieux, jours,<br />
saisons d’amour ou de mélancolie, paysages d’eau ou de pierre, d’herbe ou de steppe qui parfois<br />
resurgissent avec une étonnante vérité devant mes yeux, et qui, très souvent, de plus en plus<br />
fréquemment, s’estompent dans une étrange brume. Des lambeaux de monde définitivement mort<br />
dansent dans ma tête. Je ne serai jamais un bon mémorialiste. C’est pourquoi, tout au long de ce<br />
livre dans lequel je vais me mettre à nu, à poils, je vais orgueilleusement me raconter, fantasmes,<br />
fantômes et réalités vont inextricablement se mêler pour le plaisir (je l’espère !) du lecteur qui aura<br />
eu la patience de me suivre jusqu’au bout.<br />
« Je suis un mensonge qui dit la vérité » : je n’ai jamais vraiment aimé le poète bricoleur<br />
d’Orphée et du Sang d’un poète. Pourtant, cet aveu qu’il jeta un jour n’a cessé de m’occuper, de me<br />
hanter. Qu’est–ce qui est vrai, qu’est–ce qui est faux ? Qu’importe si Blaise Cendrars le merveilleux<br />
voyageur de l’espace du dehors et de l’espace du dedans – frère en cela de Michaux, de Segalen et<br />
de quelques autres – n’a pas accompli tous les périples qu’il narre, qu’importe s’il n’a pas fait<br />
l’amour avec toutes les femmes qu’il évoque dans sa prose rythmée par les roues des express<br />
internationaux, qu’importe s’il n’a pas vraiment vu dans la forêt brésilienne une vieille locomotive<br />
des commencements de l’âge d’or du rail, envahie, mangée par les exubérantes fleurs tropicales, les<br />
serpents pythons et les fourmis rouges. La littérature n’est qu’un fantastique artifice pour dire<br />
quelque chose de vital, de l’ordre de la nécessité. L’écrivain n’a pas à rendre de comptes. Il donne<br />
des contes aux petits et grands enfants de la planète, ballottés entre étoiles énigmatiques et drames<br />
violents, quotidiens. À un certain degré d’intensité le rêve devient réalité irréfutable, vécue. Sans<br />
bouger de sa chaise, le poète, qui a l’étoile au front, a réellement traversé tel ou tel pays. Il peut en<br />
donner une description authentique, non pas une description en surface, mais une description en<br />
profondeur. Je vous le jure, la grande Garabagne existe. J’y ai séjourné, il y a quelques années,<br />
avec mon amie du moment qui s’appelait – s’appelle toujours je l’espère pour elle – Irina<br />
Vacaresco. Nous logeâmes alors au « Grand Hôtel des Postes et des Étrangers réunis »…<br />
Il en va tout autant pour moi. Vous me croirez, vous ne me croirez pas si je vous jure sur ce que<br />
j’ai de plus précieux au monde que j’ai chevauché à la gauche d’Attila déferlant sur l’Europe, que<br />
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