LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
Deux ans après mon retour d’Alger, je me mariais. J’avais rencontré au hasard d’un café, une<br />
jeune femme, employée dans un ministère. Cette jeune femme avait quelque chose d’un oiseau<br />
meurtri. Je fus pris au piège, car c’est bien d’un piège – dont elle–même sans doute n’était pas<br />
consciente –qu’il s’agissait. Je n’avais jamais été marié. Je craignais fortement les liens du mariage,<br />
l’étouffement mutuel de deux êtres. Par jeu j’épousais B. J’aurais mieux fait de m’abstenir. Notre vie<br />
conjugale (?) ne fut qu’une succession de querelles, d’affrontements, de malentendus, à l’exception des<br />
quelques semaines du commencement.<br />
Bientôt B. se retrouva enceinte. Je lui fis savoir que je ne désirais pas avoir d’enfant. Pas encore<br />
du moins. L’ombre de mon fils livré aux médicaments, aux psychothérapeutes pesait lourdement sur<br />
ce choix.<br />
B. me proposa de nous rendre à Tanger où un docteur ami de sa famille pourrait intervenir<br />
efficacement, secrètement.<br />
Nous arrivâmes à Tanger pour apprendre que ce docteur ami de la famille était en vacances en<br />
Europe. Eu égard le temps écoulé, je n’avais plus le choix : j’allais être père.<br />
Ce premier séjour à Tanger fut pour moi un mélange d’ennuis et de joies. La grand–mère de ma<br />
femme était une femme rude, venue s’installer là alors que la ville n’était guère plus qu’un<br />
marécage. Elle avait besogné dur, amassé un petit magot. Elle vivait dans une maison très agréable,<br />
avec un jardin où courait une merveilleuse femelle bouledogue Siska que j’emmenai fréquemment<br />
promener avec moi.<br />
Je m’absentais le plus possible, désirant éviter ma femme. J’avais découvert un bar minuscule<br />
nommé « le trou ma dame ». C’était la seconde ou la troisième épouse de l’écrivain T’serstevens qui<br />
possédait ce bar. En route pour Dakar elle avait fait une halte à Tanger, une halte qui se prolongeait<br />
depuis bientôt dix ans. C’était une femme d’une inébranlable bonne humeur. Elle m’avait pris en<br />
sympathie, me régalait à longueur de soirée. J’avais rencontré deux ou trois fois son ex-mari à<br />
propos duquel elle ne tarissait pas d’éloges. À se demander pourquoi ils ne vivaient plus ensemble,<br />
ces deux oiseaux–là.<br />
Quand je rentrais tard dans la nuit, la grand-mère de mon épouse subtilisait mon costume<br />
d’étoffe légère, que je retrouvais, dès le matin, nettoyé de neuf.<br />
J’ai dit que cette femme était « dure ». Ce n’est pas peu dire. Elle avait abandonné sa propre fille<br />
– la mère de mon épouse donc – aux psychiatres. Cette femme qui avait perdu durant la dernière<br />
guerre son mari – le père de B. – ne s’était pas remis de cette perte douloureuse. Son système<br />
nerveux s’était effondré, sa pensée avait quelque peu éclaté. On la plaça en maison de repos. La<br />
famille hypocrite fut bien aise. On paya. On faisait son devoir humain. De maison de repos en<br />
maison de repos, la mère de B. devait aboutir à l’hôpital psychiatrique où elle allait se pendre aux<br />
barreaux de la fenêtre.<br />
B. fut très affectée. Elle avait déjà vécu un moment terrible dans son existence. À vingt ans elle<br />
était tombée dans les bras d’un jeune godelureau qui après l’avoir engrossée l’abandonna, prit ses<br />
cliques et ses claques pour aller rejoindre une demoiselle de bonne famille qui n’attendait que son<br />
heure pour lui faire enfin des « pipes ». B. décida d’avoir l’enfant, de l’élever seule. L’enfant naquit.<br />
B. trouva à se loger dans un foyer de « mères célibataires ». Quelques semaines plus tard, la<br />
tragédie fit irruption dans sa modeste chambre. B. fatiguée s’était endormie d’un profond sommeil.<br />
Elle n’entendit pas son enfant qui étouffait à la suite d’un «retour de lait ». Le matin, quand B.<br />
s’éveilla, l’enfant était raide, bleu. La police la soupçonna grossièrement d’avoir volontairement<br />
provoqué la mort de son enfant.<br />
C’est peu de temps après ce drame que je fis la connaissance de B. Quand elle apprit le suicide<br />
de sa mère, nous étions déjà séparés. Mais dans un effort de mutuelle intelligence, afin de ne pas<br />
traumatiser à l’extrême notre fille Nedjma, nous avions décidé de passer un mois d’été ensemble.<br />
Nous séjournions dans une ferme que m’avait recommandée un ancien compagnon de la FCL.<br />
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