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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Je m’éloignais de mes parents, de mon milieu, de ma famille. Je me rapprochais de moi. Je<br />

commençais à me vivre. Je commençais à nommer mes désirs, mes jougs, mes révoltes.<br />

La poésie m’avait accroché. Je savais qu’elle ne me lâcherait plus. La Poésie c’est-à-dire la vie,<br />

le risque, l’aventure. Blaise Cendrars m’emportait à bord du Transsibérien. Saint-John-Perse me<br />

livrait des continents fabuleux. Aimé Césaire ouvrait devant moi un chemin à travers une jungle<br />

incrustée de cris d’oiseaux, de bambous acérés comme des lances de guerriers fangs, de visages de<br />

reines.<br />

Je ne voyais plus la médiocrité de ma ville. Je traversai les murs, les apparences. J’étais libre,<br />

libre « sur parole ». J’avais hâte de me jeter dans la mêlée du monde, de découvrir océans et cités,<br />

déserts et forêts tropicales.<br />

Je marchais sur une route sans retour. Dans une clarté de naissance. Escorté de tambours.<br />

J’entrais dans des villes neuves. Des villes que je traversais avec la majesté d’un Roi, d’un rebelle.<br />

Par pans entiers le « vieux monde » s’écroulait dans ma poitrine sèche.<br />

Le groupe animait le ciné-club et un club de musique. <strong>Les</strong> séances du club de musique avaient<br />

lieu chez Jacques. On se réunissait dans la grande salle à manger où l’on écoutait les nouveaux<br />

enregistrements : jazz, musique classique et moderne. La mère de Jacques, une étonnante petite<br />

femme pleine de vitalité, nous servait des rafraîchissements. Elle trouvait tout à fait sympathique<br />

qu’à minuit, assez fréquemment, nous éprouvions le désir de manger des frites. Elle se mettait<br />

gaiement à l’ouvrage, avec notre aide plus ou moins maladroite. C’est au ciné-club où Serge<br />

exerçait ses talents d’animateur volubile que je vis pour la première fois le Cuirassé Potemkine. Je<br />

fus proprement bouleversé. Le vent de la révolte sembla frapper les murs de la petite salle obscure.<br />

Le spectacle de ces marins fiers, épris de leur dignité au point de se dresser contre des officiers<br />

cyniques et cruels, m’enthousiasma. Un autre grand moment de mon apprentissage de cinéphile fut<br />

les projections de Zéro de conduite et L’Atalante de Jean Vigo. La révolte absolue du premier, la<br />

poésie profonde du second laissèrent en moi des traces indélébiles. C’est tellement vrai que bien<br />

plus tard, ayant écrit un scénario de film en songeant à Michel Simon avec qui j’étais lié depuis<br />

plusieurs années, je le lui communiquai. Il en aima le sujet : un « mai 68 » vécu par une poignée de<br />

femmes et d’hommes du 3 e âge. L’essentiel de mon histoire se passait dans un café de la Place des<br />

fêtes et dans des lieux des alentours. Je contais l’histoire d’une bande de sympathiques vieux et<br />

vieilles, que les événements de Mai faisaient rêver. Plusieurs d’entre eux vivaient chez un fils, une<br />

fille mariée, d’autres, après le café, rentraient dans leur maison vide. Pourquoi ne pas vivre<br />

ensemble, pourquoi ne pas fonder à l’instar des jeunes gens une communauté ? C’est alors que<br />

Michel Simon apprenait étonné qu’il venait d’hériter d’une femme grecque morte très riche. Cette<br />

femme, il l’avait connue et aimée, une quarantaine d’années auparavant, quand il était officier dans<br />

la marine militaire. Avec une partie de cet argent, le groupe devenait propriétaire d’une usine<br />

désaffectée qu’ils aménageaient alors pour y vivre. Malheureusement cette usine se trouvait sur un<br />

terrain lorgné par des promoteurs avides. Le groupe accueillait un musicien drogué, un algérien<br />

travailleur émigré licencié de son emploi. La guerre éclatait entre les promoteurs forts de leurs<br />

prétendus droits et le groupe. Un jour, la police tentait de les déloger. Il devait se produire une<br />

grande bagarre où les vieux pour pallier leur faiblesse physique, recouraient à toutes sortes de<br />

procédés comiques afin de faire face aux forces de l'ordre. Vaincus, en fin de compte, le groupe,<br />

désolé, devait abandonner l’usine. On les voyait alors en procession sur la route, poussant des<br />

landaus, tirant des charrettes chargées de leurs maigres trésors, de tout un fouillis d’objets précieux<br />

et dérisoires. Sur un panneau, une flèche indiquait : « Larzac ». Ils se concertaient du regard et<br />

décidaient de ne pas renoncer. Par passion pour L’Atalante, par tendresse pour Michel Simon,<br />

j’avais prévu d’inclure dans le film que j’avais mentalement réalisé, plan après plan, une « citation »<br />

du film de Vigo : celle de la séquence où pour distraire la jeune épouse de son « patron » Michel<br />

Simon animait les tatouages de sa poitrine. Il fut très touché par mon intention. J’étais heureux car<br />

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