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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

éclairées, des cafés ouvriers, des bouges sordides, des halls de gares où nous restions de longues<br />

minutes à contempler cette inscription : Partie du train restant en gare. Comme tous les vrais<br />

poètes j’ai toujours aimé les gares, ces sortes de no man ’s land où peut se jouer l’aventure, où l’on<br />

quitte sa peau pour une peau encore inconnue, où l’on peut se vêtir de toutes les identités y compris<br />

les plus saugrenues, où il n’est pas impossible qu’apparaisse brusquement, à travers le rideau d’un<br />

jet de vapeur libéré par la vieille locomotive « la femme de votre vie ». Plus tard il me fut donné de<br />

fréquenter les gares en compagnie de Blaise Cendrars et de son chien Wagon-Lit. Nous nous<br />

rendions de préférence Gare de Lyon où l’Orient Express n’attendait plus que nous pour quitter<br />

enfin le quai avec son convoi de consuls, d’espionnes baltes, de joueurs de casinos traqués par les<br />

polices, de riches marchands de bijoux, de Princes sans couronne.<br />

Une de ces dérives nous amena, une nuit de Noël, aux Halles, à L’Alsace à Paris. L’atmosphère<br />

était étonnante, bigarrée, à la hauteur de nos vœux : des gens en fête, des clochards aux regards<br />

vineux, des bouchers et des poissonniers des Halles. Un accordéoniste jouait des chansons<br />

populaires que des tables entières passablement éméchées reprenaient en chœur au refrain. Des<br />

guirlandes tombaient du plafond. Il régnait là une fumée à couper au couteau. Un indescriptible<br />

brouhaha remplissait l’immense salle. Jacques et moi nous parvînmes à nous faire une place, autour<br />

d’une minuscule table poussée dans un coin. Nous étions pour tout dire ivres ayant célébré à<br />

maintes reprises, le long du trajet, l’imminente naissance du fils de dieu. C’est alors que mes yeux<br />

accrochèrent un visage qui ne m’était pas, loin de là, inconnu. C’était Alberto Giacometti en<br />

compagnie d’une jeune et charmante personne. Nous ne connaissions pas véritablement Alberto.<br />

Nous l’avions côtoyé à Montparnasse. Mais, Jacques et moi, admirions profondément son œuvre et<br />

sa personne. C’est le vin qui me donna sans aucun doute le courage nécessaire. Je me redressai<br />

péniblement sur ma chaise et, louvoyant entre les couples enlacés, les serveurs, je titubai jusqu’à la<br />

table de Giacometti. Arrivé là je ne sus quoi dire. Le rouge de la confusion envahit mon front. Je<br />

bafouillai un vague : « Bonjour Monsieur Giacometti » et filai aussitôt retrouver Jacques. J’étais<br />

honteux. Je plongeai le nez dans mon assiette. C’est alors qu’une voix nous arracha à nos douces<br />

brumes. Alberto Giacometti se tenait devant nous, visage affable. Il nous invita à rejoindre sa table.<br />

Ce qui nous fîmes sans hésiter. Ce fut le début d’une mémorable nuit qui nous laissa à l’aube tous<br />

couchés sur le flanc. Sans doute n’avions-nous pas rencontré Nadja. Mais le regard d’Alberto était<br />

un tout autant essentiel trésor.<br />

Nadja… il me faut évoquer ici l’étrange histoire qui m’arriva car Jacques en fut d’une certaine<br />

façon témoin. Et aujourd’hui encore, si la nostalgie de l’amour fou vient par surprise m’émouvoir,<br />

je ne puis que songer à celle que j’ai pour toujours nommé Nadja de Nantes.<br />

Pour rajouter au charme, il aura fallu que cette histoire m’arrivât dans une ville qui a toujours<br />

résonné aux oreilles des surréalistes comme une invitation à la magie. J’avais un autre ami poète qui<br />

vivait alors à Nantes. Je lui avais fait connaître au cours d’un premier déplacement Jacques. Ils<br />

avaient sympathisé. Un jour cet ami nous invita à nouveau, Jacques et moi. Nous décidâmes de<br />

répondre à l’invitation. C’était une occasion d’aller rêver dans le mystérieux Passage Pommeraye<br />

que nous devions retrouver, plus tard, avec émotion, dans le film de Jacques Demy : Lola.<br />

Nous arrivâmes chez Paul, dans la soirée. C’était le début du printemps. L’air était chargé de<br />

parfums. Après un apéritif, nous passâmes à table. La femme de Paul avait préparé un dîner simple<br />

et succulent. Quelqu’un pénétra alors dans la maison sans frapper. D’abord je n’arrivais pas à<br />

distinguer si cet être était un homme ou une femme. Un long imperméable à capuchon me dérobait<br />

le sexe de cette personne. Quand elle sortit de la pénombre, je sus aussitôt qu’il s’agissait d’une<br />

femme. Son regard me happa. C’était un regard étrange, un regard qui visiblement passait au–<br />

dessus des choses pour se poser ailleurs. La jeune femme salua, se pencha vers Paul et murmura<br />

quelques mots. Paul fit « oui » de la tête. La jeune femme disparut vers une autre pièce. J’étais<br />

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