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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Douze ans plus tard l’occupation par les chars soviétiques de la Tchécoslovaquie devait ameuter<br />

les intellectuels et l’opinion publique. Ceux–ci et celle–là avait été beaucoup moins bruyante lors de<br />

la révolte de Budapest. La raison en était simple. Alors qu’à Prague, le mouvement fut une<br />

revendication des « droits de l’homme » – une notion assez floue d’ailleurs – la révolte de Budapest<br />

signifiait une « critique par les armes », une « critique de gauche » de l’ordre communiste. <strong>Les</strong><br />

bourgeoisies occidentales, les élites culturelles sauf rares exceptions comprirent que les insurgés de<br />

Budapest mettaient en cause leurs privilèges de classe, leur domination à l’intérieur du système<br />

démocratique. À Budapest, ce furent des Conseils ouvriers que les tanks des héritiers de Staline<br />

écrasèrent, des conseils qui, comme ceux de Cronstadt, plus de trente ans auparavant, réclamaient<br />

tout le pouvoir aux soviets. L’illusion communiste éclatait au grand jour. <strong>Les</strong> bourreaux, les fous de<br />

pouvoir dévoilaient leurs faces sinistres. <strong>Les</strong> États-Unis n’avaient – et pour cause – aucune raison<br />

de soutenir un tel mouvement. <strong>Les</strong> travailleurs occidentaux manipulés par les PC gobèrent la<br />

version officielle : des contre–révolutionnaires mettaient à Budapest en péril les acquis du<br />

Prolétariat – avec majuscule s’il vous plaît. <strong>Les</strong> sociaux–démocrates, de par leur allégeance aux<br />

bourgeoisies locales et leur anticommunisme primaire, firent le reste de la besogne. Budapest creva,<br />

broyée, laminée. L’ultime appel du speaker de la radio des Conseils ouvriers : « <strong>Les</strong> Conseils<br />

ouvriers de Hongrie en appellent à la solidarité de tous les travailleurs du monde. Ici c’est la liberté<br />

qu’on écrase… ». C’était effectivement la liberté, la volonté de liberté qu’on écrasait.<br />

Douze ans plus tard des intellectuels qui n’avaient pas bronché au massacre de Budapest<br />

rompaient bruyamment avec le Parti – quitte à y revenir un peu plus tard sur la pointe des pieds,<br />

quitte à n’y point revenir, en s’installant, entre Vincennes et Dauphine dans la confortable position<br />

de « contestataires » disposant d’une résidence secondaire –, multiplièrent les papiers éplorés, les<br />

protestations véhémentes. Pêle-mêle Louis Pauwels, Jean d’Ormesson, Eugène Ionesco, Jean<br />

Dutourd, Jean Cau, Dominique Desanti, Raymond Aron, Tixier-Vignancour se retrouvaient devant<br />

le « mur des lamentations ». La « Prague aux doigts de pluie » du grand poète surréaliste Vitezslav<br />

Nezval – qui, malheureusement, finit sa vie dans la peau d’un chantre du stalinisme – faisait recette.<br />

On collectionnait les tablettes de chocolat pour les petits enfants affamés de Prague. On relisait<br />

Kafka à la lumière des récents événements. On veillait tard à la Coupole et au Dôme, à la Brasserie<br />

Lipp et aux Deux Magots en supputant, entre harengs de la bal tique et caviar, le nombre d’années<br />

qu’il fallait pour que l’Union soviétique se transformât en cet empire éclaté, prophétisé par une<br />

experte, Hélène Carrère d’Encausse.<br />

L’agonie de Budapest, je la vécus en compagnie des camarades, les poings serrés, la gorge sèche,<br />

la rage au cœur devant la pusillanimité des militants, le je m’en foutisme des masses, la trahison des<br />

clercs (une de plus !). Heureusement, Combat, Esprit, quelques autres publications parvenaient à<br />

franchir le mur de la honte. La lumière de la conscience et de la morale n’était pas étouffée malgré<br />

tous ces pompiers qui ne cessaient pas de crier « au feu » tout en allumant par leurs crimes infinis<br />

l’incendie. Budapest apportait, une fois encore, la preuve de la capacité du Prolétariat à briser l’étau<br />

des « sauveurs suprêmes », des partis d’avant–garde auto–proclamés, des donneurs de leçons<br />

réfugiés dans de moelleuses bibliothèques, de fonder des structures réellement anti–autoritaires.<br />

Une fois de plus, par sa pratique, par l’enseignement qu’il tirait de sa pratique, par la liaison intense<br />

qu’il eut alors avec le meilleur de l’intelligentsia, (poètes, peintres, romanciers, cinéastes,<br />

philosophes…), le Prolétariat démontrait qu’il était en mesure d’ouvrir la voie à un monde qui ne<br />

fut pas désespérément la répétition du « vieux monde ». Mais ce monde–là démasquait trop bien<br />

Washington et Moscou, Paris et Londres, pour obtenir le droit de se déployer. <strong>Les</strong> anticommunistes,<br />

qui avaient trouvé en Staline un allié de choix, ne pouvaient pas jouer de la même parole avec les<br />

insurgés de Budapest. Il était pour le moins coriace de faire la preuve que les rebelles de Budapest<br />

luttaient pour l’extension illimitée du Goulag, des procès politiques truqués, des exécutions<br />

sommaires dans les souterrains de la Loubianka et autres lieux de terreur.<br />

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