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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

marxiste) dont le leader Andrès Nin allait être assassiné par les services spéciaux du Kremlin sur<br />

l’ordre de Staline. « Pas de Révolution non inféodée à Moscou », « pas de Révolution du tout »<br />

avait décidé le grand moustachu paranoïaque qui, entre Hitler et les démocraties occidentales<br />

« molles », ne savait sur quel pied danser. C’était l’époque du fanatisme, un fanatisme qui plus tard<br />

devait coûter cher à mon père. Moi, en ce temps où l’Espagne de Machado et d’Unamuno, de Lorca<br />

et du Quichotte agonisait, je vivais insouciant, sans trop quitter les robes de ma grand–mère et de<br />

ma mère. Je me souviens de la première comptine que j’appris par la bouche d’une vieille voisine.<br />

Elle disait à peu près ceci : « En passant par Saint-Denis j’ai rencontré une souris… » 1 Aujourd’hui,<br />

le reste m’échappe.<br />

En face de chez nous, il y avait un pont qui, à son extrémité, passait au–dessus des lignes de<br />

chemin de fer. La route était bordée d’assez profonds talus. Très tôt, j’eus l’envie d’aller y fouiner.<br />

Je ramassais des bouts de bois insignifiants des éclats de silex, des morceaux de chiffons sales, des<br />

pages déchirées de revues. Ce petit trésor hétéroclite suffisait à ma rêverie. L’affirmation de ma<br />

passion pour la liberté doit commencer là. Il paraît que, dès mon plus jeune âge, je fus un rêveur<br />

impénitent. On pouvait me laisser des heures assis sur une chaise, je ne bougeais pas, suivant sans<br />

doute quelque vol d’insecte, ou contemplant jusqu’à l’extase un quelconque objet que ma grand–<br />

mère vendait. À quelques dizaines de mètres de chez nous habitaient ma tante et mon oncle, un<br />

couple adorable. Ma tante, de forte corpulence, avait toujours le mot pour rire. Et mon oncle était<br />

expert en plaisanterie. J’ai beaucoup aimé ma tante qui devait mourir plus tard, foudroyée par un<br />

cancer. Ils avaient pris en charge une jeune franco-vietnamienne dont je devais devenir amoureux,<br />

au moment de l’adolescence inquiète et trouble. Ils tenaient à cet enfant comme si elle était un fruit<br />

de leur sang.<br />

Toutes ces premières années, qu’on dit essentielles pour le devenir et la compréhension d’un être,<br />

se perdent pour moi dans un brouillard d’où émergent seulement, selon les saisons et mon état, une<br />

poignée d’images. Ce sont des images postérieures, bien sûr, aux premiers congés payés. À ce qu’il<br />

paraît, j’ai vécu cette étonnante cohue de travailleurs maladroits, égarés, partant, pour la première<br />

fois de leur laborieuse existence, découvrir les charmes de la campagne et de la mer. Quand le<br />

hasard me met sous les yeux des photographies de cette époque, j’éprouve une émotion certaine. Je<br />

les interroge. La seule vue d’un bébé sur les genoux de sa mère ramène la question : « serait–ce<br />

moi ? »<br />

Une des images que je conserve assez nette de ce temps c’est celui de mon petit établi. Souvenir<br />

qui m’attendrit aujourd’hui et me fais sourire. Pour la bonne raison que je suis particulièrement<br />

incapable, depuis mon entrée dans « l’âge d’homme », de bricoler, d’arranger une table qui boite, de<br />

changer les plombs du compteur électrique, d’installer trois planches pour faire une bibliothèque,<br />

d’enfoncer normalement un clou. Mais il paraît que, j’étais passionné par le bricolage. C’était une<br />

joie pour moi que de raboter, scier, clouer avec des instruments à ma taille.<br />

Une autre image encore que le temps n’a pas effacée : celle du jour où je mangeais ma première<br />

banane. Là , il y a continuité. Tous ceux qui me connaissent, toutes les femmes qui ont – le temps<br />

d’une nuit, d’une saison, de quatre saisons – partagé mon existence savent ma passion pour ce fruit,<br />

quels sacrifices d’orgueil je suis prêt à accepter pour entrer en possession d’un de ces merveilleux<br />

fruits qu’on croque comme si l’on croquait un soleil de Martinique.<br />

1 En revenant de St Denis<br />

J’ai rencontré une souris<br />

Qui se promenait gentiment avec ses enfants,<br />

Un gros chat qui passait par là,<br />

lui dit gentiment: Halte là ! je n’ai pas encore dîné j’ai envie de te croquer<br />

Mais la souris répondit poliment:"je suis trop maigre assurément<br />

Laisse moi aller m’engraisser et je reviendrais"<br />

Mais le gros chat sans l’écouter la croqua comme un poulet…<br />

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