LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
peu, les attaques successives de la police, CRS et gardes mobiles, nous contraignirent à refluer<br />
jusqu’à la Place de la Bastille. <strong>Les</strong> combats se poursuivirent le long des rails du métro. Je me<br />
rappelle avoir arraché, avec quelques autres, aux mains des flics une jeune fille qui avait eu le nez<br />
brisé d’un violent coup de casque porté en plein visage. <strong>Les</strong> gaz lacrymogènes faisaient pleurer les<br />
yeux, obscurcissaient les poitrines. Mais nous étions décidés à tenir et nous tînmes jusqu’au<br />
crépuscule. De nombreux flics étaient blessés. Dans nos rangs il y avait aussi beaucoup de visages<br />
ensanglantés. De nombreuses arrestations eurent lieu. Mais nous avions atteint, d’une certaine<br />
façon, notre objectif.<br />
Une période terrible commençait. Il y eut d’abord les rappelés. Nous fîmes de nombreuses<br />
manifestations dans les gares pour nous opposer au départ des trains qui emportaient les rappelés<br />
dont la plupart refusaient la sale guerre. Paris se transformait, jour après jour, en ville semblable à<br />
une capitale de dictature latino–américaine sillonnée par les patrouilles armées. <strong>Les</strong> violences<br />
étaient quotidiennes. <strong>Les</strong> contrôles d’identité rappelaient une funeste époque. La droite et l’extrême<br />
droite se déchaînaient contre l’anti-France. Des ministres socialistes – dont plusieurs d’entre eux<br />
n’ont toujours pas quitté la scène politique – acceptèrent d’avoir les « mains sales » au nom de<br />
l’intérêt national. Ils couvraient les violences, les atteintes portées à la personne humaine. L’armée<br />
française ratissait les djebels, incendiait les mechtas, expérimentait la torture sur les « rebelles ».<br />
<strong>Les</strong> appelés inconscients et en proie à un racisme plus ou moins avoué partaient casser du<br />
« bougnoule ». Nous étions impuissants devant ce fleuve de cruauté, de sottise, de sadisme. De plus,<br />
les nationalistes algériens se déchiraient entre eux avec une violence inouïe : Messalistes contre<br />
militants du FLN.<br />
<strong>Les</strong> « ratonnades » devenaient le pain quotidien. <strong>Les</strong> gens continuaient à faire la queue devant les<br />
cinémas tandis qu’à quelques kilomètres des Algériens étaient soumis aux violences, aux<br />
humiliations, aux vexations les plus brutales. On retrouvait chaque jour des cadavres. Des femmes,<br />
des hommes étaient à jamais marqués dans leur chair par les bourreaux.<br />
L’aveuglement des colons m’effarait. Je n’ignorais pas, qu’à l’exception de ceux dont les<br />
exactions étaient trop immenses, la plupart des Français d’Algérie, pouvaient trouver une place dans<br />
une Algérie indépendante, progressiste. Mieux même une Algérie sur la voie du développement<br />
avait besoin d’eux. Mais manipulés par la violence des temps, la propagande des fanatiques, les<br />
discours enflammés et trompeurs des gouvernants, ils ne purent éviter la rupture totale. Ils<br />
s’engouffrèrent dans le labyrinthe des souffrances, de la déraison, de l’exil.<br />
Des familles qui avaient humblement, farouchement, ensemencé une terre, ne pouvaient<br />
purement et simplement être rejetées. Leur malheur fut de confondre leurs intérêts avec ceux de<br />
quelques gros propriétaires disposant de tous les moyens d’agitation, reliés aux milieux les plus<br />
réactionnaires de l’Armée et de l’appareil d’État. Aujourd’hui, les Harkis, comme les soldats de<br />
Sétif, ont appris de quel prix la France récompensait leurs sacrifices. Il y eut des trompés dans tous<br />
les camps. La naïveté a la peau dure.<br />
J’ai, je l’avoue, toujours lutté plus contre que « pour ». Je ne me faisais guère d’illusion sur les<br />
chances d’une Algérie socialiste. Je mesurais tous les obstacles qui se dressaient contre une<br />
véritable émancipation du peuple algérien, et d’abord celui qu’incarnait une religion qui, après avoir<br />
été ferment de liberté, était devenue moyen d’oppression sinon de régression (On retrouve<br />
aujourd’hui en Iran cette douloureuse ambiguïté).<br />
Mais les ennemis de mes ennemis sont mes <strong>amis</strong>. Adage simplificateur dira-t-on ? peut–être.<br />
Mais il n’empêche, à l’époque, il fonctionnait pour moi.<br />
Je voulais demeurer lucide dans cette bataille que je prévoyais complexe, longue, douloureuse.<br />
Le déchirement de Camus me déchirait aussi. Je ne voulais que le bonheur des Français d’Algérie,<br />
je ne voulais que la liberté d’un peuple dont l’identité avait été écrasée par la conquête et les actes<br />
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